PREMIÈRE PARTIE

LA POULE ET LE COQ

Les volailles et les œufs entrent pour une part importante dans l'alimentation générale. Je n'ai pas de données précises sur les quantités que la France en produit et consomme, mais je sais par les tableaux officiels qu'en 1853 Paris a consommé 174 millions d'œufs et prés de 11 millions de kilogrammes de volailles.

Les comptes rendus de l'administration des douanes nous apprennent aussi qu'en 1855 notre importation d'œufs en Angleterre a été d'environ 8 millions de kilogrammes d'œufs, ce qui, à raison de 50 grammes, poids moyen de chaque œuf, forme un total de 160 millions d'œufs, dont la valeur, à raison de 5 centimes l'œuf, soit de 1 fr. le kilog. (4 €), est de 8 millions de francs (32 456 395 €). Si l'on admet avec M. Dailly qu'une poule ponde 90 œufs en moyenne pendant les cinq premières années de sa vie (ce que je crois exagéré), on trouve que cette exportation est le produit d'environ 1 800 000 poules, L'Angleterre est donc pour ce produit de l'industrie des femmes de nos cultivateurs un marché presque aussi considérable que Paris, et leur paye, chaque année, un tribut de 8 millions de francs (32 456 395 €).

Aussi l'Angleterre cherche-t-elle, depuis quelques années surtout, à se soustraire au tribut annuel qu'elle nous paye, et c'est dans ce but que les Sociétés d'agriculture anglaises encouragent par des expositions fréquentes et des prix considérables les propriétaires des meilleures races de poules.

On sait que le prince Albert, le mari de la reine d'Angleterre, s’est mis à la tête de ce mouvement.

Ces efforts pourraient influer d'une façon fâcheuse sur notre exportation, si nous ne nous décidions résolument à suivre le progrès qui s'est produit en Angleterre.

Notre gouvernement et nos Sociétés d'agriculture sont entrés enfin dans cette voie, et, dans nos derniers concours généraux et régionaux d'animaux reproducteurs, des prix ont été attribués aux belles poules comme aux beaux bœufs et aux beaux moutons.

Depuis 1855 l'impulsion est donnée, on comprend qu'il faut varier la nourriture de l'homme pour assurer sa santé, que les ouvriers n'ont pas moins besoin que les riches de manger un œuf frais ou une volaille, et que la poule au pot ne peut pas être toujours un idéal inaccessible pour le paysan qui la produit. Toutefois bien des gens font fausse route, en ce sens qu'ils vont demander à l'étranger et à des prix très-élevés ce qu'ils ont chez eux à bas prix. Pourquoi payer 1  000 fr (4 057 €), 1  500 fr (6 085 €) et même 2  500 fr (10 142 €) un coq et une poule dorking, quand pour quelques francs on peut trouver dans une foule de basse-cours bien conduites un coq où une poule des meilleures races françaises, quand on n'a qu'à choisir entre nos excellentes races de Crévecœur, de Houdan, de Bresse, du Mans ? D'ailleurs, on se laisse souvent séduire par certaines qualités d’une race étrangère, puis l'expérience en révèle les défauts.

Par exemple, on s'est engoué de la race cochinchinoise, qui certes a de bonnes qualités, qui donne beaucoup d'œufs à une époque tardive de l'année et couve bien, mais qui a le grand inconvénient de fournir une chair médiocre, et qui consomme une quantité de nourriture hors de proportion avec les produits qu'on en obtient.

On s’engoue aujourd'hui des dorking comme on s'était engoué des cochinchinois, et sans les mieux connaître. Je ne proscris pas d'une manière absolue les races étrangères, je pense qu'on peut les croiser utilement avec certaines de nos races, qu'on doterait ainsi de qualités précieuses qui leur manquent; mais je proteste contre tout entraînement irréfléchi, et je veux mettre mes lecteurs en garde contre des dépenses exagérées et stériles.