Statistique et économie horticole

Statistique horticole

Notre ouvrage étant particulièrement destiné à nos enfants, aux jeunes jardiniers-maraîchers, nous devons leur donner la signification des mots qui ne s'apprennent pas dans notre pratique, et le mot statistique est de ce nombre. Ainsi, nous leur disons que le mot statistique signifie l'étendue d'un pays, d'un endroit, son climat, ses divers produits, son commerce, sa population florissante ou souffrante, sa richesse, l'argent qu'elle dépense et celui qu'elle gagne, etc. C'est donc en faisant l'énumération de ces différents rapports que nous allons donner une idée de la statistique de la classe des jardiniers-maraîchers, exerçant leur profession actuellement dans la nouvelle enceinte de Paris.

1° Nous avons trouvé, par un calcul très approximatif, que l'ensemble des terrains employés à la culture maraîchère, dans la nouvelle enceinte de Paris, est maintenant d'environ 1 378 hectares.

2° Ces terrains sont divisés en 1 800 marais ou jardins ; les plus grands contiennent environ 1 hectare, et les plus petits environ 1 demi-hectare ; mais le plus grand nombre des jardins maraîchers contiennent trois quarts d'hectare, parce que cette quantité de terrain est le plus eu rapport avec la bonne administration et la surveillance d'un seul chef.

3° De ce qu'il y a 1 800 jardins maraîchers dans les terrains compris dans la nouvelle enceinte de Paris, il s'ensuit qu'il y a aussi 1 800 jardiniers-maraîchers maîtres, pour les faire valoir. De ces maîtres, les uns sont propriétaires et les autres locataires ; mais cette différence n'ayant aucun rapport avec la capacité et la moralité, nous ne devons pas nous en occuper.

4° Quant au personnel de chaque établissement, il est assez difficile de le fixer rigoureusement : d'abord, parce que tous les jardins n'ont pas la même contenance ; que l'exploitation des uns offre des difficultés qui ne se rencontrent pas dans les autres ; parce que certains maraîchers ont une manière de travailler, de calculer et d'administrer que n'ont pas les autres, ce qui peut augmenter ou diminuer le nombre de bras nécessaire à l'exploitation. Il y a à calculer la force des enfants du maître, et voir si le travail d'un, deux, trois et quatre enfants peut équivaloir au travail d'un ou de deux hommes ; enfin les saisons contraires ou favorables diminuent ou augmentent le nombre d'ouvriers surnuméraires.

Cependant, d'après notre propre et longue expérience, nous pouvons dire, avec assez de certitude, que, pour cultiver un jardin de 1 hectare, où l'on fait des primeurs et de la pleine terre, il faut, en tout temps, un personnel de cinq ou six personnes, composé du maître et de la maîtresse, une fille à gages, un garçon à gages s'il y a des enfants en état de travailler, ou, à leur défaut, deux garçons à gages et souvent un ou deux hommes à la journée.

Les personnes à gages sont couchées à la maison et nourries à la table du maître. La fille à gages est payée en raison de sa force, de son intelligence et de son savoir ; le terme moyen de ses gages peut être fixé à 240 fr (960 €) par an[1]. Les garçons jardiniers-maraîchers sont payés au mois, et le prix n'est pas le même en été qu'en hiver. D'octobre en mars, un garçon gagne de 18 fr (72 €) à 20 fr (80 €) par mois et 2 fr (8 €) de gratification par dimanche ; d'avril en septembre, il gagne de 30 fr (120 €) à 32 fr (128 €) par mois et de 2 fr (8 €) à 2,5 fr (10 €) de gratification par chaque dimanche.

Ce personnel ne suffit pas toujours : dans les grandes et longues sécheresse de l'été, par exemple, il faut mouiller extraordinairement pour conserver la marchandise tendre, l'empêcher de durcir ou de monter ; dans ce cas, le maître maraîcher prend à la journée un ou plusieurs hommes qu'il nourrit et à chacun desquels il donne 2 fr (8 €) par jour si ce sont des femmes, il leur donne 1 fr (4 €) et la nourriture.

Il y a 9 000 personnes employées à la culture maraîchère dans la nouvelle enceinte de Paris.

Dans ce nombre :


les maîtres et les maîtresses entrent pour 3 600
les enfants, dont le travail est évalué à celui de 1 500 hommes, ci 1 500
les hommes et les femmes à gages 3 900
TOTAL 9 000

Il va sans dire que tous les garçons maraîchers, tous les hommes à la journée ne connaissent pas également le métier et ne sont pas tous doués de la même intelligence ni de la même activité. Le maître reconnaît promptement ce dont chacun est capable, et l'emploie selon ses facultés. Plusieurs de ces garçons maraîchers sont des jeunes gens de province, qui viennent à Paris pour apprendre ou se perfectionner; et, que cela soit vrai ou faux, il est certain que l'on tient pour vrai, dans la classe maraîchère, que certaines provinces fournissent de meilleurs ouvriers que d'autres ; aussi, quand un maraîcher embauche un garçon, il ne manque pas de s'informer de quel pays il est.


Jusqu'à présent, la police n'a pas encore obligé les garçons maraîchers à se nantir de livret; mais les maîtres exigent d'eux des preuves de bonne conduite qui en tiennent lieu. En général, cette classe d'ouvriers est fort paisible, et il est très rare qu'elle donne sujet à quelques plaintes.

5° Ce qui prouve que les jardiniers-maraîchers ont suivi le progrès du bien-être qui s'est développé dans les classes travaillantes, c'est qu'ils occupent beaucoup plus de chevaux qu'autrefois : les 1 800 maraîchers existants dans la nouvelle enceinte de Paris possèdent au moins 1 700 chevaux, qui dépensent, en moyenne, pour leur nourriture, chacun 2,50 fr (10 €) par jour. De ces 1 700 chevaux, 1 300 sont conservés toute l'année et 400 sont vendus à l'entrée de l'hiver, quand on n'en a plus besoin pour tirer de l'eau. Les 1 300 chevaux dont les maraîchers ne peuvent se passer coûtent d'achat de 500 fr (2 000 €) à 800 fr (3 200 €), ou, terme moyen, 650 fr (2 600 €) chaque. Ces chevaux sont employés à mener les légumes à la halle, de grand matins, et, en revenant, ils ramènent une voiture de fumier : quelquefois ils retournent en chercher plusieurs voitures dans la même journée ; et, dans l'été, ils sont occupés, plusieurs heures par jour, à tirer de l'eau au puits, au moyen d'un manège ou d'une pompe à engrenage, dont nous donnerons les descriptions plus tard ; mais nous dirons de suite qu'un manège et ses accessoires coûtent de 400 fr (1 600 €) à 500 fr (2 000 €). Quant aux pompes à engrenage il n'y en a encore qu'un petit nombre d'établies, dans les jardins des maraîchers de Paris, et leur prix varie en raison de leur perfection, de leur complication et de la profondeur des puits. Pour un puits de 10 mètres de profondeur, une pompe à engrenage coûte de 1 500 fr (6 000 €) à 1 600 fr (6 400 €) ; mais il y en a qui coûtent jusqu'à 2 600 fr (10 400 €).


Les 400 chevaux dont nous avons parlé plus haut sont d'une moindre valeur que les autres, parce que ceux des maraîchers qui les achètent ne s'en servent que pendant environ six mois d'été, et les revendent ensuite; leur prix est de150 fr (600 €) à 200 fr (800 €), ou, terme moyen, 175 fr (700 €). chaque. Ils servent de même à mener les légumes à la halle, ramener du fumier et tirer de l'eau.

Si maintenant nous calculons ce que coûtent les 1 700 chevaux employés dans la culture maraîchère dans la nouvelle enceinte de Paris, nous trouvons que :

1 300 chevaux, à 650 fr (2 600 €) l'un, font 845 000 fr (3 380 000 €)
Que 400 chevaux, à 175 fr (700 €) l'un, font 70 000 fr (280 000 €)
TOTAL 915 000 fr (3 660 000 €)

Si ensuite nous calculons la nourriture de ces chevaux à 2,50 fr (10 €) par jour, nous trouvons que

1 300 chevaux coûtent par an : 1 186 250 fr (4 745 000 €)
Que 400 chevaux coûtent, pour six mois de nourriture 182 000 fr (728 000 €)
TOTAL 1 368 250 fr (5 473 000 €)

6° Beaucoup de circonstances donnent des valeurs différentes aux terres propres à la culture maraîchère dans Paris. Tous les jours quelques maraîchers s'éloignent du centre de la capitale, parce que de nouvelles bâtisses, de nouvelles fabriques, de nouveaux magasins se forment continuellement, s'emparent des terrains et les rendent d'un prix supérieur à celui que peut y mettre le cultivateur : il arrive aussi quelquefois que celui ci trouve du bénéfice à vendre son terrain et à aller s'établir plus loin, quelquefois encore il est obligé de s'éloigner pour cause d'utilité publique.

Un marais qui se trouve sur une rue, sur un chemin pavé, a plus de prix que celui qui se trouve au fond d'une ruelle non pavée ou sujet à quelque servitude ; celui qui est bien enclos de murs a aussi plus de valeur que celui qui est mal ou point fermé. Cependant nous allons donner un aperçu de la valeur actuelle des terres propres à la culture maraîchère dans Paris.

Les terrains compris entre le boulevard et le mur d'octroi valaient, il y a une vingtaine d'années, de 20 000 fr (80 000 €) à 22 000 fr (88 000 €) l'hectare; aujourd'hui ces terrains n'ont plus de prix. Sur les bords du canal Saint-Martin, et autres endroits où le commerce s'est porté, l'hectare se vend 80 000 fr (320 000 €) ou 100 000 fr (400 000 €).


Ceux situés entre le mur d'octroi et la nouvelle enceinte peuvent se diviser en deux catégories : les premiers sont ceux qui, depuis longtemps cultivés en marais, sont réputés d'une bonne nature de terre, enclos de murs et à proximité d'une rue pavée, ceux-là valent aujourd'hui de 28 000 fr (112 000 €) à 30 000 fr (120 000 €) l'hectare; les seconds sont ceux qui se trouvent sur le derrière, qui n'ont pas de communication facile avec une rue pavée, ceux-ci se vendent de 16 000 fr (64 000 €) à 20 000 fr (80 000 €) l'hectare clos de murs, compris le logement.

7° Quant au prix du loyer d'un hectare de terrain consacré à la culture maraîchère, il y en a de deux sortes. Quand le terrain est de la première qualité, il se loue de 1 200 fr (4 800 €) à 1 300 fr (5 200 €) l'hectare, y compris le logement du jardinier ; quand il est de seconde qualité, l'hectare se loue de 800 fr (3 200 €)} à 900 fr (3 600 €). Outre le loyer, le maraîcher locataire paye encore l'impôt personnel et les portes et fenêtres.

8° Le nombre de panneaux de châssis employés dans la culture maraîchère, dans la nouvelle enceinte de Paris, est évalué à 360 000. Le nombre de cloches est évalué à 2 160 000.

9° Dans un marais employé en culture maraîchère depuis quelque temps, les engrais et matières fertilisantes se trouvent dans les débris du fumier qui a servi à faire les couches et les paillis : ainsi, en calculant ce que nos châssis et nos cloches usent de fumier, le prix de l'engrais sera une partie du prix du fumier. Un panneau de châssis use par an, terme moyen, pour 4 fr (16 €) de fumier ;

C'est donc quatre fois 360 000 1 440 000 fr (5 760 000 €)
Pour occuper 2 160 000 cloches, il faut du fumier pour 270 000 fr (1 080 000 €)
Pour le fumier à faire des champignons 100 000 fr (400 000 €)
TOTAL de dépense pour fumier et engrais 1 810 000 fr (7 240 000 €)

10° Quant à la somme annuellement dépensée pour la culture maraîchère dans la nouvelle enceinte de Paris, il ne nous est pas possible de la donner avec une approximation plausible.

11° S'il ne nous est pas possible, par plusieurs raisons, de donner le chiffre de la dépense de la culture maraîchère dans Paris, nous pouvons donner très-approximativement le chiffre de ses recettes.

Pendant longtemps nous nous sommes occupés de cet objet pour les diverses saisons de l'année, bonnes et mauvaises, ainsi que des produits de la culture eu pleine terre et de la culture forcée, et nous pouvons affirmer que l'ensemble des recettes de la vente des légumes des maraîchers dans la nouvelle enceinte de Paris s'élève au chiffre d'environ 13 500 000 fr (54 000 000 €) par an.

Économie horticole


Par le titre économie, nous entendons le rapport qui doit avoir lieu entre les dépenses et les recettes, de manière que les dernières soient toujours plus grandes que les premières. Mais, s'il est facile d'établir ce rapport pour quelques établissements maraîchers, il est extrêmement difficile de l'établir pour l'ensemble des 1 800 maraîchers de Paris ; car, quoique chacun de nous croie faire pour le mieux, un cas imprévu peut renverser tous nos calculs et rendre la dépense plus grande que la recette ; et cela arrive malheureusement de temps en temps, et quelquefois plusieurs années de suite ; et puis il faudrait aller prendre connaissance de l'état des affaires de chaque maraîcher, chose que nous ne devons ni ne pouvons faire ; cependant notre position au milieu de nos confrères nous met à même d'approcher de la vérité de plus près que tout autre, et c'est ce que nous allons essayer de faire dans les paragraphes suivants.

1° Pour cultiver 1 hectare de terre converti en marais depuis une dizaine d'années ou plus, et lorsqu'on n'y fait que des légumes de pleine terre, quatre personnes suffisent pendant huit mois de l'année ; mais, de mai en août, il en faut deux de plus. On sent bien que, si on s'établissait dans un terrain neuf, en friche, pierreux, il faudrait plus de monde, jusqu'à ce que la terre fût ameublie et facile à travailler. Quant à la quantité de bras qu'il faut pour cultiver 1 hectare en culture de pleine terre et de primeur, nous l'avons déjà dit, au paragraphe 4.

2° Ici, d'après l'ordre du programme, nous avons à établir ce qu'il en coûte d'engrais chaque année pour cultiver 1 hectare de terrain en légumes de pleine terre, et 1 hectare de la manière la plus complexe, c'est-à-dire en culture de primeurs et en culture de pleine terre. Comme la question est double, nous allons d'abord la diviser.

Nous venons de dire que, quand un jardiniers-maraîcher s'établit sur un terrain neuf qui n'a pas encore été cultivé en marais, il lui faut quelques années pour en rendre la terre meuble et facile à cultiver. Pendant ces quelques premières années, les engrais nécessaires pour rendre la terre fertile peuvent être considérables. Si la terre est trop sableuse, il lui faut un engrais gras, tel que le fumier de vache ; si elle est trop forte, il lui faut un engrais plus léger, tel que celui de cheval : mais il nous est impossible de dire combien il faut de l'un ou de l'autre engrais pour amener le terrain à l'état de fertilité et de divisibilité le plus propre à la culture maraîchère, ni même de préciser en combien d'années il sera amené à cet état. Mais une fois devenu propre à la culture maraîchère, nous pouvons dire ce qu'il faut d'engrais par an, pour l'entretenir dans son état de fertilité, quoiqu'il y ait des légumes plus épuisants les uns que les autres.

Il est bien entendu qu'il est ici question d'un marais où l'on ne fait pas de primeur, par conséquent pas de couches ; mais nous ne concevons pas de culture maraîchère sans paillis, sans terreau pour couvrir les semis ; et, comme dans un marais le même endroit peut produire trois ou quatre récoltes par an, cet endroit doit être aussi paillé ou terreauté trois ou quatre fois en un an, ce qui produit déjà un engrais, mais insuffisant pour entretenir la fertilité; il faut donc que le maraîcher qui ne fait pas de couches et, par conséquent, pas de primeurs achète, chaque année, aux maraîchers qui font des couches et des primeurs, pour environ 200 fr (800 €), par hectare de fumier de vieilles couches, dont une partie est enterrée comme engrais, et l'autre employée en paillis et pour être convertie en terreau.

Tel est le mode le plus général de fumer des maraîchers qui ne font pas de primeurs ; mais, quand leur terrain est trop léger, trop sableux, ils n'achètent, par hectare, que pour 100 fr (400 €) de fumier de vieilles couches, ce qui leur suffit pour pailler et terreauter leurs plants et leurs semis, et ils emploient les autres 100 fr (400 €) à acheter du fumier de cheval gras ou de vache, qu'ils enterrent comme engrais.

Dans un établissement maraîcher de la contenance de 1 hectare où l'on fait beaucoup de primeurs, la dépense est beaucoup plus considérable; dans celui, par exemple, où l'on occupe 400 panneaux de châssis et 3 000 cloches, on dépense pour plus de 3 000 fr (12 000 €) de fumier par an.

Il y a ici une observation à faire. On croit assez généralement que, si nous obtenons d'aussi beaux légumes, c'est que nous employons beaucoup d'engrais ; c'est une erreur. Quand notre terrain est devenu en état d'être cultivé en culture maraîchère, nous n'y mettons plus d'engrais proprement dit : la fertilité du terrain s'entretient d'abord par les paillis et les terreautages que nous renouvelons et enterrons au moins trois fois dans une année ; ensuite parce que nous changeons, autant que nous pouvons, nos carrés de melons de place chaque année, et que l'eau avec laquelle nous arrosons nos, couches traverse le fumier et en entraîne les parties fertilisantes dans la terre ; enfin parce que nos melons en tranchées se font dans des fosses remplies de fumier qui communique une partie de sa fertilité à la terre, et qu'ensuite, quand nous retirons ce fumier des fosses ou tranchées, il en reste toujours une partie plus ou moins décomposée qui engraisse naturellement la terre et la met dans l'état de fertilité le plus convenable à la culture maraîchère : aussi ceux d'entre nous qui font beaucoup de primeurs vendent, chaque année, une partie de leur terreau de couches et n'achètent jamais d'engrais d'aucune espèce.

On désirerait peut-être nous voir traiter ici de ce que coûte l'entretien de 1 hectare de terrain en culture de pleine terre, en culture forcée ; ce que cette culture rapporte de bénéfice en un an; que nous indiquassions ce que coûte la production de chaque légume et le prix de sa vente, et que nous formassions un tableau du coût et du profit de la culture de tous ces objets. Sans doute tous ces détails seraient nécessaires à une bonne statistique ; mais pour les obtenir il faudrait d'abord que la dépense et le profit fussent toujours invariables, ce qui n'a pas lieu ; puis fouiller dans les secrets de nos confrères, ce que nous. ne nous permettrons jamais.


[1] Note pour cette édition : nous avons converti les francs de 1850 en euros de 2019, en équivalent en terme de pouvoir d'achat, à l'aide du convertisseur de l'INSEE.