Préface à la troisième édition

Depuis le jour où la Société nationale d'Acclimatation a commencé la publication du Potager d'un Curieux, c'est-à-dire depuis treize ans, nous n'avons pas interrompu nos recherches un seul instant et nous avons pu nous procurer et expérimenter plus de cent plantes qui ne figurent pas dans la première édition.

Aujourd'hui, après vingt-trois années de recherches, le champ nous semble à peu près épuisé, et nous doutons qu'il nous soit possible de trouver chaque année une ou deux espèces qui nous aient échappé jusqu'ici. L'Asie, l'Afrique, l'Amérique, nous ont donné ce qu'elles avaient, mais l'Océanie, l'Australie, la Nouvelle-Zélande ne nous ont rien fourni, parce qu'elles ne possèdent réellement aucune plante alimentaire indigène, spontanée ou cultivée, autre que l'Igname, la Patate et le Taro.

Ce n'est cependant pas que les plantes comestibles soient en petit nombre sur la surface habitée du globe.

Un botaniste américain, M. Lewis Sturtevant, de South Framingham (Massachusetts), a pris la peine de compter les plantes comestibles qui existent dans le monde et en a trouvé 4,233, divisées en 1,353 espèces et 170 genres.

211 espèces seraient, selon l'auteur que nous citons, cultivées pour la cuisine, en qualité de légumes; ce petit nombre d'espèces ne formerait que le quart du nombre total des espèces comestibles connues.

Les chercheurs à venir seront sans doute encouragés par ces chiffres à fouiller encore dans le champ immense où nous ne savons plus rien découvrir. Nos vœux les accompagneront.

Mais, s'il est aujourd'hui, s inon impossible, ou tout au moins très difficile, de trouver dans la Flore alimentaire exotique des plantes qui puissent être utilement introduites dans nos potagers, il serait relativement facile d'augmenter les ressources de cet ordre dans nos colonies, en donnant à chacune d'elles ce qui lui manque et ce que les autres possèdent.

Au cours de nos recherches, nous avons reconnu que des légumes d'un usage habituel dans telle ou telle de nos possessions lointaines étaient souvent absolument inconnus chez leurs sœurs françaises.

Sans négliger ce qui peut être emprunté à l'étranger, au Japon, en Chine, aux Indes, dans l'Amérique du Sud, et même en Afrique, il y a lieu, ce nous semble, pour atteindre le but visé, de procéder par voie d'échange entre nos colonies, par acclimatation mutuelle.

Le succès n'est pas douteux.

Dans plusieurs de nos possessions existent, établis et entretenus aux frais de l'État, des jardins dans lesquels on cultive les légumes d'Europe, et quelques-uns y végètent passablement, à condition que les semences en soient fréquemment renouvelées. Dans tous leurs établissements ou stations, nos missionnaires entretiennent aussi -des jardins dans lesquels ils cultivent ces mêmes légumes, pour leur propre alimentation, et aussi pour enseigner et en propager la culture et l'usage.

Qu'on se représente donc combien serait abondant et salutaire l'approvisionnement végétal de nos colonies, si, à ces légumes d'Europe, péniblement obtenus, venaient se joindre ceux qui se refusent à croître sous notre climat, mais qui prospéreraient aussi bien à la Guyane qu'au Gabon, aux Antilles qu'en Cochinchine, etc., et qui se répandraient partout où nos compatriotes subissent encore aujourd'hui de cruelles privations par l'extrême rareté des végétaux alimentaires.

Supposons un instant que nous nous occupons exclusivement du Congo. Il possède, à Libreville, un jardin colonialqui est en d'excellentes mains, et, dans le Haut-Congo, des missionnaires qui ne négligent pas de cultiver les légumes de France. Si cette colonie recevait :

Du Japon et de la Chine : le Daïkon, le Pé-tsaï, le Sinapis napiformis, le Trapa bicornis, le Nélombo;

De la Cochinchine et du Tonkin : le Haricot de Baria, le Pachyrrhizus angulatus, Jpomœa replans, de nombreuses variétés de Sojas, les meilleures variétés de Dolies;

De Pondichéry et de l'Inde anglaise : la Baselle à feuilles en cœur, le Benincasa cerifera, vingt variétés du Phaseolus Mungo, le Cajan ou Ambrevade (Cajanus indicus), le Pois carré (Psophocarpus tetragonolobus), Légumineuse vivace dont la gousse, relevée de quatre ailes très saillantes, est excellente à consommer au vert ;

De la Nouvelle-Calédonie et de Tahiti : d'excellents Taros et trente variétés d'Ignames ;

Des Antilles : le Gombo, le Maranta arundinacea, le Cucumis Anguria, le Pachyrrhizus tuberosus, la Chayote (Sechium edu'e), le Solanum. beiaceum ou Tomate en arbre, arbrisseau qui produit en abondance des fruits sucrés acidulés dont. on peut faire des sauces et des marmelades ;

De l'Equateur : le Solanum muricatum, le Solanum. quiloense;

De l'Amérique du Sud : les Canna edulis et discolor, l'Arracacia, le Dioscorea triloba, aussi farineux et d'aussi bon goût que la Pomme de terre, les variétés volumineuses de l'Oxalis crenata, le Pachyrrhizus tuberosus de la Paz, le Quinoa blanc, la Claytone perfoliée, le Physalis peruviana, le Pois de sept ans ou Haricot de Lima (Phaseolus lunatus), Haricot vivace dont la graine est d'excellente qualité, le Dolic Asperge ou à longue cosse (Dolichos sesquiperfalis), qui pourrait rendre de grands services dans nos colonies en raison de son abondante production de gousses qui, cueillies avant la complète maturité, s'emploient comme les Haricots verts;

De Java : le Coleus tuberosus;

De Madagascar : le Plectranthus ternatus; le Haricot de Madagascar ou du Cap (Phaseolus capensis);

D'Espagne ou d'Asie : la Courge de Siam.

Si, disons-nous, le Congo recevait toutes ces plantes, de facile culture et usuelles dans les pays chauds, ne serait-il pas aussi bien pourvu que nous le sommes dans nos pays civilisés, et cette grande variété de légumes ne serait-elle pas un gage de santé pour les blancs ?

Au moment où notre expansion coloniale occupe tous les esprits et provoque tant d'efforts, l'œuvre que nous indiquons ici sollicite tous les hommes de bonne volonté, les directeurs des jardins botaniques, les jardiniers coloniaux, les missionnaires et, particulièrement, notre Société nationale d'Acclimatation.

Cette nouvelle édition du Potager d'un Curieux est accompagnée de figures inédites et d'autres dont les clichés ont été obligeamment mis à notre disposition par la direction de la Revue horticole, par la maison Vilmorin-Andrieux et Cie, la Société nationale d'Acclimatation et le journal Le Naturaliste. Nous adressons à tous nos bien vifs remerciements.