Les classiques du jardin

Le potager moderne

Traité complet

de la

Culture des légumes

Intensive et extensive

appropriée aux besoins de tous

pour tous les climats de la France

par Gressent

Professeur d’arboriculture et d’horticulture

Dixième édition

Fleuron

Introduction

La Dixième Édition de l’Arboriculture fruitière parait ; la huitième édition du Potager moderne, publiée en 1890, touche à sa fin.

Je reprends ce livre, dont le succès a été si rapide, pour le revoir avec le même soin que l’Arboriculture fruitière, afin de laisser à la postérité une œuvre des plus complètes comme des plus pratiques, et en augmenter encore le tirage.

Le Potager moderne est le seul livre à l’aide duquel les propriétaires ont pu organiser des cultures sérieuses, et obtenir des légumes abondamment et économiquement, et les instituteurs primaires organiser dans leurs jardins des cultures productives, qui ont bientôt doublé les ressources de l’alimentation publique, en ouvrant une nouvelle issue à l’agriculture, partout où elles ont été entreprises.

Devant de tels résultats, le succès du Potager moderne à toujours été en augmentant. La première édition à paru en 1864 ; la seconde en 1867 ; la troisième en 1873 (elle s’est ressentie de la guerre) ; la quatrième, dont le tirage a été augmenté, en 1875 ; la cinquième, tirage encore augmenté, en 1879 ; la sixième, dont le tirage à été doublé, en 1882 ; la septième, avec un tirage plus nombreux encore, en 1885, et enfin la huitième avec un tirage considérable en 1890.

Le Potager moderne marche de pair avec l’Arboriculture fruitière, et Parcs et jardins les suit de près dans leur course rapide. Cela devait être ; ces trois volumes sont le fruit de plus de quarante années de travail consciencieux et d’incessantes expériences ; ils ont apporté la lumière dans les ténèbres de la routine, et ont facilité à tous la pratique de toutes les cultures. Depuis l’apparition de Pares et jardins, les jolis jardins paysagers remplacent des fouillis impossibles, et les propriétaires obtiennent avec économie une abondance de fleurs qu’ils n’osaient espérer.

Mon but, en publiant le Potager moderne, n’était pas de former des marchands de légumes, encore moins d’enseigner les fécondes cultures des maraîchers parisiens, (ces cultures ne sont possibles qu’à Paris, où les fumiers abondent et se vendent pour rien ; avec le débouché de la halle de Paris, l’esprit droit et éclairé, et surtout avec les bras des maraîchers), mais de venir au secours du propriétaire, qui ne peut se procurer les légumes indispensables en échange des sacrifices les plus considérables ; à celui du rentier, du fermier, du petit cultivateur, des hôpitaux, des grands établissements, des instituteurs, de l’armée, etc., pour lesquels la production des légumes est chose importante, et qui ne produisent pas, parce qu’ils ne savent pas.

Le maraîcher parisien, je suis heureux de le constater, est le premier producteur du monde entier ; son marais est la meilleure école pour le maraîcher de province, mais pour le maraîcher seulement ; il y apprend à travailler et est certain de réussir, en modifiant toutefois ses cultures suivant les ressources et les débouchés de son pays, qui seront loin d’égaler la production et la consommation parisiennes.

Il est donc incontestable que cette riche culture, faisant la fortune des maraîchers et pourvoyant largement la halle de Paris, ne peut être appliquée chez le maraîcher de province, encore moins chez le propriétaire, le rentier, le fermier, le petit cultivateur, les hôpitaux, les instituteurs, etc., où il faut alimenter largement la maison d’abord, et vendre le surplus pour couvrir les frais de culture.

Les maraîchers de Paris sont des fabricants de légumes ; ils en fournissent à des populations entières, et de cette laborieuse industrie, exigeant un capital élevé (de 25 000 fr (100 000 €) à 30 000 fr (120 000 €)), à une production économique, limitée et de longue durée, il y a loin. Où finit l’enseignement du maraîcher, celui du Potager moderne commence.

Les sociétés de progrès ont fait fausse route en conseillant de généraliser la culture maraîchère de Paris en province. Deux choses le prouvent : l’absence de la culture maraîchère et le succès inespéré du Potager moderne. La province n’a pas voulu engager un capital important dans une entreprise dont le premier élément (le fumier) lui ferait défaut, et dont les débouchés n’étaient pas assurés ; elle a été sage en s’abstenant. La province a accueilli avec empressement le Potager moderne, et a immédiatement essayé sa culture ; parce qu’elle était simple, économique et productive.

Aux maraîchers donc la mission d’alimenter les marchés de Paris et des plus grandes villes de France. C’est là seulement que leurs abondantes récoltes peuvent se vendre en un seul marché, et où leurs produits, trop poussés à l’eau et la plupart du temps sans saveur, trouvent des acquéreurs forcés. Aux maraîchers encore le monopole des primeurs, que Paris et les grandes villes consomment avec avidité. À la culture du Potager moderne la mission de donner au propriétaire des légumes de première qualité et sans interruption ; au locataire comme au petit rentier, à la fois une ressource alimentaire et une occupation salutaire ; aux ouvriers agricoles comme à ceux de nos villes, de fabriques, une nourriture saine, abondante et à bon marché, qui leur à manqué jusqu’à présent ; à nos soldats, des légumes et de la salade à foison ; à nos paysans, la richesse, en introduisant chez eux une culture facile et lucrative, qui, tout enrichissant e locataire, augmentera forcément la valeur foncière, la fortune du propriétaire et celle de la France.

En doutez-vous, cher lecteur ? Veuillez bien lire l’extrait suivant de la Propriété communale et de sa mise en valeur, par M. J. Ferrand, ancien préfet. « Les propriétés des communes forment un total de 4 718 856 hectares de terrain, dont la valeur capitale est évaluée à 1 618 618 900 fr (6 474 475 600 €) et le revenu à 45146554 fr (180586216 €) Plus de la moitié de cette vaste contenance, 2 192 803 hectares environ, se compose de pâtures, terres vaines et vagues, landes, bruyères, sables et graviers, qui rapportent à peine un peu plus du sixième du revenu total, c’est-à-dire 8 177 541 fr (32 710 164 €) (en moyenne 2,96 fr (11,84 €) par hectare !)… »

Maintenant faisons un calcul bien simple. Soumettons à l’horticulture productive cette moitié de terrains communaux, rapportant 2,96 fr (11,84 €) par hectare. En comptant un revenu de 2 000 fr (8 000 €) par hectare, au lieu de 8 000 fr (32 000 €), moyenne ordinaire, c’est-à-dire le quart du produit, nous aurons des fruits et des légumes à bon marché pour les classes pauvres ; nous donnerons, sinon la richesse, mais au moins l’aisance à des milliers de personnes, et nous créerons, sur des terrains presque abandonnés, un revenu annuel de cinq milliards cinq cent quatre-vingt-cinq millions six cent six mille francs.

Je ne compte que sur la moitié des terrains communaux, et laisse la propriété particulière de côté. Rien de plus facile à réaliser avec un enseignement sérieux donné par des professeurs, appuyés par les ministres de l’instruction publique et de l’Agriculture, et le concours des maires, des instituteurs primaires et de l’armée, et non par des domestiques ou des ouvriers déguisés en messieurs.

La richesse de la France gît dans son sol privilégié, et non dans les tripotages de bourse ; sa moralisation, dans le travail des champs et non dans les illusions des grandes villes ; le bonheur, dans la production du sol, donnant tout en abondance, et non dans les spéculations ténébreuses se liquidant en cours d’assises ou en police correctionnelle. Plus je vieillis, plus je suis convaincu de cette vérité, et fais d’efforts pour faire passer mes convictions chez mes auditeurs et mes lecteurs. J’ai arboré mon drapeau ; il n’y aura autour de celui-là ni sang, ni larmes, ni ruines. Puisse-t-il faire le tour du monde, triompher partout, et réaliser cette pensée, à laquelle j’ai voué la majeure partie de mon existence : Richesse publique, bien-être pour tous et moralisation des populations rurales par le travail intelligent !