Ce qui est

Nous voulons un progrès rapide et sérieux ; rien de plus facile si nous savons vouloir, et si nous employons des moyens énergiques pour remplacer un état de choses vicieux, par un meilleur. Pour arriver à ce but, le concours de tous est nécessaire, celui du propriétaire comme du jardinier et de l’ouvrier ; en outre, l’instruction horticole de chacun d’eux est indispensable : je l’apporte dans ce livre.

Examinons d’abord l’état des cultures en France ; nous exposerons ensuite les moyens de remédier promptement au mal.

Nous plaçons en dehors de notre examen :

  1. Les cultures des maraîchers de Paris et des grandes villes de France ;
  2. Celles des potagers de châteaux.

Le maraîcher parisien est un type qui ne se rencontre qu’à Paris, c’est la personnification de l’intelligence et du travail. Ces deux qualités poussées à l’excès font de ses cultures des phénomènes de production admirés du monde entier. Le maraîcher parisien possède des ressources inhérentes à Paris : des montagnes d’excellents fumier presque pour rien et la halle de Paris, gouffre toujours béant qui engloutit tout. Joignons à ces deux ressources une grande intelligence de la culture ; un esprit droit, exempt de sot orgueil et de préjugés, aimant le progrès ; une somme de travail incroyable, et nous aurons la clef de la richesse des maraîchers de Paris, qui produisent annuellement un revenu brut de 12 500 fr (50 000 €) par hectare ; mais, ne l’oublions pas, ces prodiges ne peuvent s’obtenir qu’à Paris, et avec les ressources de Paris.

Vient en seconde ligne le maraîcher des grandes villes ; il a appris à cultiver et a contracté l’habitude d’un travail incessant chez le maraîcher parisien. Ses ressources sont limitées : il paye ses fumiers cher et s’en procure quelquefois difficilement ; en outre, sa production est limitée aux besoins et aux habitudes du pays. Le maraîcher de province, à force de travail et d’industries, retire de sa terre un revenu annuel égal à la valeur foncière.

Reste le jardinier de château, qui a conquis une bonne position à force de travail ; il est habile fleuriste, parfois maraîcher, et quelquefois arboriculteur. Le jardinier de château à un nombreux personnel d’aides, pour les serres, les primeurs, le parc, etc., état-major aussi nombreux que dispendieux. Il ne peut être question du prix de revient au château, et cependant toutes ces cultures, lorsqu’elles sont bien dirigées et bien entendues, reviennent la plupart du temps moins cher que celles du propriétaire ayant une fortune moyenne et un jardinier ignorant.

Nous nous inclinons devant les résultats obtenus par ces trois classes de cultivateurs ; nous ne pouvons qu’admirer les deux premières et les remercier, au nom de tous, de posséder une intelligence et des bras susceptibles de faire produire au soi un revenu dépassant sa valeur foncière. Disons encore que les maraîchers de Paris, comme ceux de province, donnent tous l’exemple de la moralité, de la probité, de la bienfaisance, et prouvent aux paresseux que : vouloir c’est pouvoir. Remercions-les encore de l’exemple qu’ils donnent avec tant de modestie ; il est rare et salutaire à l’époque où nous vivons : les maraîchers de Paris n’acceptent jamais de médailles dans les concours : ils en perçoivent la valeur en argent pour la déposer à la caisse de secours des ouvriers maraîchers.

N’oublions pas le jardinier de château ; il est souvent l’expression de la science horticole, et dans ce cas il prouve sur-abondamment à ceux qui visitent ses cultures que le mot impossible n’est plus français en horticulture. Remercions-le bien sincèrement des brillants résultats obtenus, et engageons-le, dans l’intérêt général, à faire beaucoup d’élèves, car celui qui s’est donné la peine d’apprendre est laborieux et fera des élèves de mérite.

Disons encore que, dans un rayon de quelques lieues autour de Paris, on rencontre d’habiles jardiniers qui ont appris et savent ; leurs cultures bien soignées en témoignent, et donnent toujours un produit équivalent aux dépenses faites. Mais tout cela est pour Paris et ses environs ; dés qu’on s’éloigne du centre des lumières et de l’instruction, que trouve-t-on en fait de jardiniers (en dehors des maraîchers) ? De fort braves gens, il est vrai, d’une probité irréprochable, nous sommes heureux de le constater, remplis de bon vouloir, mais ignorant les premiers éléments de la culture. C’est ici que Le Potager moderne commence son œuvre d’utilité pour l’introduire dans les jardins du propriétaire, du rentier, du fermier, du petit cultivateur et du métayer, du presbytère, des hôpitaux, des communautés et des grands établissements, des instituteurs, des gares, des employés et des camps pour donner à tous des légumes en abondance et à un prix modique, et doubler avec facilité les ressources de l’alimentation pour toutes les classes de la société.

Examinons ce qui est dans la majeure partie des jardins situés à une certaine distance de Paris. Comme aspect : un fouillis général d’arbres fruitiers à hautes tiges et en pyramides, enchevêtrés de vignes, de groseilliers et de framboisiers, et au milieu de ce hideux fouillis quelques fleurs étiolées et des légumes impossibles. Il existe beaucoup, et presque partout, de très grands jardins, cultivés ainsi depuis des siècles ; et, depuis qu’on les cultive, le résultat a toujours été le même ; point de fruits, peu de légumes, et guère de fleurs. Que les propriétaires de ces jardins prennent la peine de compter d’une part ce qu’ils dépensent en engrais, en main-d’œuvre, en plants, en semences, en : arbres plantés chaque année sans succès, et en frais de toutes sortes, et qu’ils veuillent bien estimer leur récolte au cours du marché : ils renonceront le lendemain à cultiver leur jardin, tant le chiffre sera éloquent.

Voyons maintenant ce que l’on est convenu d’appeler un potager, et quel résultat il donne. Le potager est une nécessité pour le propriétaire habitant une grande partie de l’année un domaine éloigné des villes ; il lui faut des légumes, coûte que coûte. Voici la position de ce propriétaire : Il prend un jardinier, auquel il donne de 1 200 fr (4 800 €) à 4 500 fr (18 000 €)., un garçon de 800 fr (3 200 €) ; total, 2 200 fr (8 800 €), environ ; 4 000 fr (16 000 €) en moyenne dépensés chaque année en châssis, en cloches, en plants, semences, paillassons, etc. ; total, 3 200 fr (12 800 €) au débit du potager.

Qu’a le propriétaire pour 3 200 fr (12 800 €) ? Un potager quelquefois orné d’arbres fruitiers à haute tige, mais invariablement planté, de chaque côté de grandes allées, de poiriers en pyramides, avec accompagnement de fleurs. Il est de toute nécessité d’arroser les fleurs, et par contre-coup les arbres. Ces derniers poussent avec une vigueur extrême jusqu’à ce que les racines pourrissent ; aussi, en raison de leur vigueur, et souvent de la taille qui leur est appliquée, ils ne donnent pas de fruits. Pendant leur courte existence, on dit les premières années : « Ils sont encore trop jeunes pour rapporter ! » et, lorsqu’ils périssent sous les coups du sécateur sans avoir rien produit ; « Ils sont épuisés ; » ou le plus souvent : « Le terrain ne vaut rien pour les arbres ! »

Résultat négatif pour les fruits. Le propriétaire en envoie chercher au marché. Passons aux légumes.

Si, comme cela arrive trop souvent, le jardinier cultive les légumes à la mode du pays, il ne connaît pas les variétés à introduire dans le jardin du propriétaire ; il y plante les variétés du pays, très rustiques, il est vrai, mais bonnes pour des charretiers : des choux aussi âcres que monstrueux, des pois gros et durs comme des balles de fusil, des carottes excellentes pour les chevaux, des radis ligneux, etc. Souvent ce même jardinier ignore les besoins des plantes qu’il cultive, et agit suivant ce docte axiome : « Il faut graisser la terre pour récolter ; » et là-dessus il éparpille dans un immense jardin tout ce qu’il possède d’engrais, et obtient invariablement ce résultat :

Les légumes à production foliacée, demandant une fumure abondante, languissent faute d’une nourriture suffisante et donnant, trois mois trop tard, un quart de récolte, et quelle récolte !. . .des filandres partout et dans tout. C’est à faire damner toutes les cuisinières, et à ruiner les estomacs les plus robustes ! Les racines voulant une terre pourvue d’humus, mais exempte d’engrais frais, poussent en tiges et ne forment pas de racines ; les salades montent avant de pommer. Récolte herbacée excellente pour mesdames les mères des veaux et leur famille, les chèvres et les lapins.

Les légumes à fruits secs, exigeant une terre veuve d’engrais depuis deux ans au moins et des silicates de potasse, poussent en tiges ; vous avez des pois de deux mètres de haut, sans cosses, des haricots géants sans fruits ! Nous voyons cela tous les jours partout, et cependant il a été dépensé, dans un tel jardin, peut-être plus de travail, et au mains autant d’engrais qu’il en eût fallu pour obtenir, non seulement une quantité d’excellents légumes, mais encore une abondante récolte de melons et de primeurs, si le travail eût été dirigé autrement et l’engrais judicieusement dépensé.

Le melon, ce fruit si précieux, n’existe qu’à l’état foliacé dans la plupart des jardins. Rien n’est si facile à faire cependant, et sans dépense aucune, quand on sait le cultiver.

Quelquefois le jardinier, ayant été quelques semaines à l’école des maraîchers, obtient des produits abondants, mais tous à la fois, comme pour les porter à la halle, Dans ce cas, le propriétaire se trouve dans la nécessité de nourrir ses animaux avec ses légumes, pour ne pas les laisser perdre, et en manque ensuite pendant des mois entiers. Alors il renvoie au marché.

Maintenant, que le propriétaire veuille bien estimer sa récolte et nous dire combien lui coûtent les quelques mauvais légumes qu’il a : obtenus. Beaucoup ont compté, et tous avouent que le potager est une nécessité ruineuse. Cela est vrai en cultivant dans de mauvaises conditions d’énormes espaces de terrain.

La plupart des jardiniers, aussi intelligents et plus adroits qu’on ne peut le supposer, n’ont le plus souvent que du bon vouloir en fait de science horticole. C’est à leur ignorance absolue de l’organisation des plantes, de leurs besoins, de la composition du sol, de la valeur et de l’emploi des engrais, de l’influence des agents naturels sur la végétation, et des variétés de légumes qu’ils cultivent, que nous devons ces déplorables résultats. Nous n’avons pas le droit de leur reprocher leur faiblesse en culture, puisqu’ils n’ont pas été à même de l’apprendre ; mais nous pouvons les guider sûrement, même à défaut de leçons, avec un livre pratique, et leur faire obtenir de féconds résultats : c’est ce qu’a fait Le Potager moderne !

Ajoutons que la culture des jardins de propriétaires n’est pas celle qui donne les résultats les plus désastreux. Ils récoltent, il est vrai, des légumes pitoyables leur coûtant vingt fois ce qu’ils les payeraient au marché ; mais ils récoltent encore quelque chose, tandis que cette même culture essayée, et plus mal faite encore par les paysans, ne produit absolument rien, que le dégoût de ce qui touche à l’horticulture. De là, disette complète, dans les campagnes, des légumes si nécessaires à l’alimentation et à la santé des classes pauvres dont l’unique nourriture se compose de viandes salées et de légumes secs.

Nous venons d’examiner ce qui est, et de nous appesantir sur les inconvénients dus au règne de la routine : voyons maintenant ce qui devrait être, pour apporter partout et chez tous l’économie, l’abondance, la richesse et la santé.