Préparation du sol : nivellement, amendement et défoncement

Le tracé fait sur le terrain, et les piquets placés à chaque angle pour servir de points de repère, on peut défoncer. Mais, préalablement, il faut examiner attentivement le terrain, première condition pour rendre les arrosages profitables aux plantes.

Le nivellement doit être fait, en même temps que le défoncement, par les terrassiers qui l’exécutent, et sans grande augmentation de prix. Cela leur est facile quand leur travail est bien préparé ; il ne leur en coûte guère plus de peine, et c’est une grande économie pour le propriétaire. Le nivellement fait à la journée, avant ou après le défoncement, revient souvent plus cher que ce dernier, et a l’inconvénient d’abîmer le sol surtout après le défoncement. Il eût mieux valu ne pas défoncer que de piétiner et de rouler des brouettes sur un défoncement tout frais.

Cependant, si le terrain était couvert de buttes de terre, il faudrait niveler grossièrement, mais avant de tracer, c’est-à-dire abattre les buttes les plus saillantes et boucher avec les trous les plus profonds. Dans tous les autres cas, voici comment on procédera :

On prend trois nivelettes (fig. 6 : a), ou mieux quatre pour chaque face du carré à niveler, soit douze pour un carré que nous supposons avoir 18 mètres sur chaque face. On place la première nivelette, non pas tout à fait à l’angle du carré, mais à vingt centimètres de cet angle, dans l’allée,de façon à enfoncer des piquets de nivellement tout autour du carré, afin que les terrassiers ne les dérangent pas en défonçant, et s’en servent pour niveler.

La première nivelette placée à une hauteur de 80 centimètres environ, on en enfonce une seconde à 6 mètres de la première, et à la même hauteur ; ensuite on place la troisième à 6 mètres de la seconde ; on les aligne toutes les trois les unes sur les autres, et l’on place la quatrième à l’autre angle.

Ensuite, on place, comme nous venons de le faire, en les ajustant sur celles des angles, trois nivelettes, à 6 mètres de distance, sur chacune des deux faces attenant à celle déjà nivelée, et deux sur la quatrième, pour déterminer une ligne parfaitement horizontale tout autour du carré. Cela fait, on ajuste une mire (fig. 6 : b) à la longueur d’une nivelette de hauteur moyenne ; c’est celle que doit avoir le terrain, et l’on enfonce au maillet un piquet entre chaque nivelette, en ajustant sa hauteur sur elle avec la mire.

plan-jardin plan-jardin

a      b

Figure 6 : a : nivelle ; b : mire

Il faut, en outre, en plaçant les piquets de nivellement, tenir compte du foisonnement de la terre défoncée : il est d’un dixième environ : ainsi, en défonçant à 60 centimètres, on doit compter sur 6 centimètres de foisonnement, et placer les piquets 6 centimètres plus haut que le niveau réel.

Ces piquets enfoncés, on retire les nivelettes une à une ; on place dans leur trou un piquet ajusté avec la mire, et au besoin avec deux mires, quand il ne reste plus assez de nivelettes. La tête de chaque piquet représente la hauteur exacte que le sol doit avoir ; ces piquets, placés à 3 mètres les uns des autres, au bord de l’allée, sont un guide sûr pour les terrassiers et offrent une grande facilité pour vérifier à chaque instant le nivellement, avec une mire placée sur les piquets de chaque extrémité, et une troisième posée sur le sol.

En opérant ainsi, le jardin défoncé est aussi uni qu’une table, et ce résultat, ordinairement dispendieux, est obtenu presque sans augmentation de dépense ; une gratification de 10 fr (40 €) à 15 fr (60 €), suivant la grandeur du jardin, indemnisera suffisamment les terrassiers du temps qu’ils auront perdu à vérifier leur nivellement à la mire.

Les mêmes piques serviront pour niveler les allées lorsque le défoncement sera opéré. Il est utile de leur donner une pente générale, presque insensible à l’œil, mais indispensable pour faciliter l’écoulement des eaux pendant les pluies d’orage ; une pente de 2 millimètres par mètre est suffisante. Reprenons pour exemple notre carré de 18 mètres ayant sept piquets sur chaque face. Ces piquets sont placés à 3 mètres de distance ; la pente générale est de 36 millimètres.

Il faudra donc enfoncer les piquets ainsi : le premier ne sera pas touché ; le second sera enfoncé de 6 millimètres, le troisième de 19, le quatrième de 48, le cinquième de 24, le sixième de 30, le septième de 36, n’y aura plus qu’à mettre de la terre jusqu’à la tête des piquets, et la pente sera réglée avec une grande justesse, sans peine comme sans dépense inutile. Les allées ne doivent être nivelées que trois semaines au moins après le défoncement, lorsque la terre a repris son aplomb, et que le nivellement à été vérifié et reconnu exact ; mais, je ne saurais trop le recommander, les piquets de nivellement ne doivent pas être dérangés avant que le tassement complet du sol défoncé soit opéré : cela demande quinze à vingt jours.

Il est urgent d’établir des allées bombées (fig. 7) pour faciliter l’écoulement des eaux sur les bords, et conserver le milieu en bon état. Les allées nivelées et bombées, comme je l’indique, ne gâchent jamais, même après les plus grandes pluies, lorsqu’on les laisse sécher pendant deux heures seulement. En outre, une partie des eaux s’infiltre sur les bords, dans la terre cultivée, et y apporte une bienfaisante humidité. Les allées de tous les jardins doivent être disposées ainsi.

Lorsque le potager est placé sur une pente très rapide, il est utile d’établir des banquettes horizontales, seul moyen d’avoir les planches unies, faciles à cultiver et retenant l’eau.

On détruit la pente naturelle du sol (A, fig. 8) en le coupant en B, C et D, pour y établir une série de banquettes horizontales, sur lesquelles la culture est facile et productive. On n’a recours à ce moyen que dans les pays très montagneux, où l’on est quelquefois forcé d’établir un potager sur une pente très rapide.

Lorsque le potager à une pente générale très prononcée (fig. 9), on peut la conserver, surtout lorsqu’elle est du nord au midi, mais en l’adoucissant par le nivellement, et en établissant les planches B,C et D dans le sens opposé à la pente, où il est facile de les dresser de façon à les obtenir parfaitement horizontales comme dans la figure 10 à l’aide de petites banquettes faites au râteau.

Les piquets de nivellement placés, on procède au défoncement général.

Le défoncement se fait de trois manières suivant la qualité et la profondeur du sol :

1° Jauge ouverte

Dans le cas où le sol est de même qualité jusqu’à la profondeur voulue, et quand il n’y a pas d’amendement à introduire, il n’y a qu’à défoncer : ce défoncement doit avoir les profondeurs suivantes :

Sous le climat de l’olivier, il sera utile d’augmenter la profondeur du défoncement de 10 à 15 centimètres, afin d’obtenir plus de fraîcheur dans le sol.

Ce travail est payé à la tâche de 0.30 fr (1.2 €) à 0.35 fr (1.4 €) le mètre courant dans les sols argileux, suivant leur ténacité, et 0.25 fr (1.0 €) à 0.30 fr (1.2 €) dans les sols de consistance moyenne et dans les sables. Ces prix, très rémunérateurs en province, devront être augmentés de 0.05 fr (0.2 €) à 0.10 fr (0.4 €) aux environs de Paris, où la main-d’œuvre est plus coûteuse en raison du prix élevé des vivres.

Les platebandes des murs, destinées à recevoir des arbres fruitiers, seront défoncées à la profondeur d’un mètre.

Il ne faut jamais fumer en défonçant, ni les platebandes destinées à planter des arbres, ni les carrés du potager. Le fumier embarrasse et retarde les terrassiers ; et ce fumier, enfoui trop profondément, placé hors de la portée des racines, est entièrement perdu.

Celui qui fume en défonçant fait subir trois pertes au propriétaire : celle du fumier, du charroi et du temps des terrassiers ; je pourrais dire quatre en comptant la première récolte, qui sera à peu près nulle, faute d’engrais à sa portée.

Les défoncements doivent toujours être faits à l’entreprise où à la tâche ; ils ne sont possibles aux prix indiqués que dans celte condition. Chaque fois qu’un propriétaire tentera de les faire exécuter à la journée, quelque bon marché qu’il paye les ouvriers, le travail sera mal fait et reviendra à un prix exorbitant. Un bon terrassier fait 90 mètres de défoncement en moyenne dans sa journée ; il demande toujours à travailler à la tâche ; il préfère se donner de la peine et gagner de l’argent. Le mauvais ouvrier, à la journée, fait à peine 4 mètres, et répète sans cesse que le défoncement est un travail impossible. Dans ce cas, si le propriétaire habite un pays où les ouvriers soient trop mous pour entreprendre à la tâche, c’est-à-dire ne veulent pas se donner un peu de mal pour gagner de 6 fr (24 €) à 8 fr (32 €) par jour, il aura un grand bénéfice à faire venir des terrassiers et leur payer le voyage aller et retour. J’en ai envoyé autrefois en Berry et en Touraine ; les propriétaires en ont été enchantés, et les ouvriers du pays les considéraient comme des travailleurs fantastiques.

Le défoncement ne doit jamais être fait à la bêche, mais toujours à la pioche et à la pelle.

Le défoncement à la bêche est désastreux pour le propriétaire, en ce que le sol retourné sens dessus dessous, la bonne terre au fond et la mauvaise dessus, peut rester complètement infertile pendant plusieurs années, et ruineux pour l’ouvrier, parce qu’il n’avance pas et gagne à grand-peine de pitoyables journées. L’un et l’autre feraient mieux de se tenir tranquilles.

Le défoncement à la pioche (fig. 10), pour abattre la terre, et à la pelle (fig. 11), pour la ramasser, est seul profitable aux propriétaires, et avantageux pour l’ouvrier, surtout s’il sait s’éviter les transports de terre ; rien n’est plus facile. Voici comment on procède :

Admettons que nous ayons à défoncer quatre carrés de potager séparés par une allée en croix (fig. 43). Nous ferons défoncer les quatre carrés sans rouler une seule brouettée de terre. On ouvrira la tranchée à l’angle du premier carré donnant sur l’allée du milieu (A, fig. 12). Cette tranchée aura 8 à 4 mètres de large sur 4 à 5 de long pour que trois hommes puissent y travailler de front sans se gêner. La terre de l’ouverture de la tranchée sera jetée dans l’ailée auprès de son ouverture, en B.

Six hommes descendront dans la tranchée et travailleront par trois de front : trois à piocher et trois à pelleter, et ils se relayeront alternativement. Les trois premiers abattront la terre au fond de la tranchée, par tranches de 30 à 40 centimètres d’épaisseur, et à la profondeur voulue ; les trois seconds ramasseront, avec leurs pelles, cette terre déjà mêlée en tombant sous la pioche, et la re-mêleront encore en la jetant derrière eux, jusqu’à la hauteur des piquets de nivellement. En opérant ainsi, le nivellement et le défoncement seront opérés du même coup. Le mélange des terres sera parfait : on obtiendra un guéret profond, de terre excellente et de même consistance : ce sol se maintiendra toujours frais, sera d’une fertilité remarquable, et donnera par sa fraîcheur naturelle une économie de moitié sur les arrosements.

La tranchée à été ouverte en A, fig. 12, à l’angle droit du premier carré : le défoncement sera conduit de manière à le terminer à l’angle opposé, celui de gauche, en bas du carré, où il restera un vide égal (C, même figure) à la terre enlevée et laissée en réserve dans l’allée : ce vide sera comblé par la terre de l’ouverture de la tranchée à l’angle gauche du second carré : cette terre sera jetée à la pelle par-dessus l’allée (D, même figure). Le second carré sera défoncé comme le premier et terminé par l’angle du bas E ; ce nouveau vide sera comblé par l’ouverture de la tranchée du troisième carré, à l’angle (F, même figure) faisant face au vide. Ce carré sera défoncé comme les deux précédents, et terminé par l’angle G (même figure) bordant l’allée transversale. Le vide sera comblé par l’ouverture de la tranchée du quatrième carré H, que les terrassiers termineront par l’angle gauche en haut, I, où se trouve la réserve de terre B, provenant de l’ouverture de la première tranchée A. Il n’y aura qu’à la pousser à la pelle pour combler le dernier vide.

Dans tous les défoncements, il est urgent de bien mêler ensemble les couches de terre du dessus, du milieu et du dessous ; d’extraire avec le plus grand soin les pierres et les racines ; de bien casser les mottes de terre et d’enterrer très profondément le chiendent, s’il y en a ; il ne repousse jamais quand il est enfoui à plus de 60 centimètres. La terre d’un potager soumis au défoncement doit être complètement épurée. C’est une opération qui ne se fait qu’une fois, mais il est urgent de bien la faire pour qu’elle soit profitable.

2° Le défoncement avec amendement

Il se fait à la même profondeur que le précédent, et s’opère de la même manière, à la pelle et à la pioche, pour que le mélange des terres soit parfait.

Si l’on opère dans un sol argileux, il sera très profitable d’employer le plus de terre meuble possible. Celle de la superficie des allées devra être enlevée à la profondeur d’un fer de bêche, et jetée sur les platebandes, pour être remplacée, dans les allées, par la terre du fond de la tranchée. La terre de la surface, exposée à l’influence des agents atmosphériques, est toujours délitée, tandis que celle du fond est plastique à l’excès.

Lorsqu’on introduit un amendement dans le sol : plâtras, sable ou cendres de houille, on étend cet amendement également sur le carré à défoncer ; on jette la terre des allées par dessus ; on mêle le tout en défonçant, et l’on jette la terre du fond de la tranchée dans les allées, pour remplacer celle qui y a été enlevée. Ce défoncement se paye le même prix que le précédent, mais avec cette différence que la terre prise dans les allées se paye aux terrassiers 0.10 fr (0.4 €) le mètre de surface.

Lorsque les amendements sont appliqués à des sols siliceux, et qu’il n’est pas nécessaire de prendre la terre des allées, le défoncement est payé le même prix que celui à jauge ouverte. On paye seulement à part, à la journée, l’épandage de l’amendement.

3 °Les défoncements avec changement de terre

Ils sont les plus longs et les plus dispendieux. On les pratique dans les sols peu profonds, dont le sous-sol est impropre à la culture, quand il est composé de glaise, de marne ou de tuf.

On commence par prendre toute la terre végétale des allées et la jeter sur les carrés ; on ouvre la tranchée comme je l’ai indiqué précédemment ; on mélange toutes les bonnes terres et l’on rejette au fur et à mesure le sous-sol dans les allées. Quand il y a 40 ou 50 centimètres de bonne terre, le travail n’est pas énorme, et l’on arrive assez facilement à faire 70 centimètres d’excellente terre, sans charrois. Dans ce cas, le défoncement se paye 0.05 fr (0.2 €) en sus ; les allées, comme défoncement. Les terrassiers brouettent la terre et nivellent les allées. Mais, quand il n’y a que 25 à 30 centimètres de bonne terre, l’opération devient plus difficile et plus dispendieuse.

Dans ce cas, il n’y à pas à hésiter ; il faut créer un sol riche et profond où il n’existe pas. Malgré les difficultés que cela présente en apparence, ce n’est pas plus dispendieux, quand le travail est bien conduit, qu’un mauvais défoncement exécuté à la journée, dans un bon sol. Il faut commencer par prendre dans les allées toute la terre végétale qu’il est possible d’y trouver, ct la jeter sur les carrés. Lorsque la tranchée est ouverte, on emploie toute La bonne terre ; on extrait ensuite la mauvaise, avec laquelle on remplit les vides faits dans les allées, et l’on emporte l’excédent, que l’on remplace par de la bonne terre prise ailleurs, forte ou légère, suivant la consistance du sol, et dont on se sert en dernier lieu pour recharger le défoncement et achever le nivellement.

Il est rare d’en venir à ces extrémités ; c’est un cas exceptionnel. La plupart du temps, le sous-sol peut être mélangé en partie avec la terre des carrés et celle des allées, sans être obligé d’avoir recours à des charrois toujours coûteux. Cependant, quand on est réduit à ces moyens extrêmes, et qu’un potager est indispensable, il faut le créer le plus vite possible, mais bien faire ce que l’on entreprend : une telle opération mal exécutée coûterait assez cher, et ne donnerait que de mauvais résultats.

Dans ce cas, le défoncement se paye 0.10 fr (0.4 €) de plus par mètre que le prix courant ; les allées comptent comme défoncement ; les terrassiers les nivellent et chargent les voitures de mauvaise terre extraite du terrain, et on leur paye en sus à la journée l’épandage de la terre rapportée.

Disons, avant de terminer ce qui est relatif aux défoncements, qu’il faut toujours les faire à l’avance, et les exécuter par un temps sec, surtout dans les sols argileux. Il faut autant que possible les faire à l’automne ou au commencement de l’hiver, pour mettre le jardin en culture au printemps. La création d’un jardin est une chose sérieuse, quand on veut la bien faire et obtenir des résultats profitables. Elle nécessite sinon l’intervention d’un homme spécial, mais au moins ses conseils, pour le plan, les dispositions à prendre et les indications à donner pour l’exécution, si l’on veut éviter les déceptions et les dépenses inutiles.

Il faut à cet homme, toujours surchargé de travail, le temps d’étudier les dispositions nécessaires dans tous leurs détails, et aussi aux ouvriers celui indispensable pour exécuter leur travail dans de bonnes conditions. Si la précipitation est nuisible dans presque toutes les circonstances de notre vie, je pourrais dire que c’est la pire de toutes les choses dans la création d’un jardin.

Que les propriétaires, dans l’intention de créer des jardins, m’envoient donc leurs demandes de renseignements pendant l’été, lorsque les jours sont longs et que l’on peut travailler, afin que je puisse leur donner des indications en temps utile, au lieu de me les adresser à la veille de commencer les travaux, pendant l’hiver où je n’ai pas une minute à moi, et en me les demandant par retour du courrier.