C’est quoi au juste une forêt comestible ?

L’ail des ours est une herbacée comestible qui pousse dans nos sous-bois. On en trouve souvent dans les endroits humides ou aux bords des rivières.

C’est une plante très expansive. Lorsqu’elle se plaît dans un coin de forêt, à un endroit où le milieu est très favorable pour elle, alors elle va coloniser les sous-bois en formant de vastes étendues. On va se trouver avec des petits champs d’ail des ours à droite à gauche dans certaines forêts, souvent au bord des cours d’eau. C’est une plante vivace, donc une fois qu’elle s’est installée quelque part elle va revenir tous les ans toute seule. On n’a pas besoin de s’en occuper parce qu’elle pousse toute seule. Planter de l’ail des ours dans les sous-bois c’est faire de l’agriculture sauvage. On modifie l’éco-système pour que, de façon sauvage, la plante pousse toute seule. On modifie la flore sauvage et une fois que l’on a introduit cette nouvelle espèce alors on n’a absolument plus aucun travail à fournir. On a modifié l’éco-système pour qu’il produise tout seul, de façon autonome, la nourriture que l’on va consommer.

Et ce qu’on peut faire pour une plante comme l’ail des ours, et bien on peut le faire à l’échelle d’à peu près toutes les plantes d’une forêt : pour les plantes de couverture de sol comme l’ail des ours, pour les plantes grimpantes comme le lierre et, surtout, pour les arbres eux-mêmes.

C’est la version écologique, naturelle et optimale de ce qu’on appelle en permaculture une forêt comestible.

Comme pour beaucoup de choses en permaculture, l’idée de forêt comestible, qui était initialement une idée fonctionnelle et optimale, a été rendue difficile à appliquer pour les gens qui ne vivaient pas en Australie, c’est-à-dire sous le même climat que Bill Mollison et David Holmgren, les inventeurs de la permaculture. À tel point qu’on a vu des gens pousser le truc jusqu’à l’absurde et essayer de mettre en place des éco-systèmes australiens en France, pour finalement se rendre compte que non, ça ne marche pas, les éco-systèmes sont des organismes qui mettent des milliers voire des millions d’années à se mettre en place et vouloir tout foutre en l’air pour le temps d’une vie humaine c’est juste absurde, ça ne marche jamais, ça n’a jamais marché et ça ne marchera jamais.

Tout le couvert végétal décrit par Mollison lorsqu’il parle de forêts comestibles, et bien c’est le couvert végétal australien. C’est-à-dire un éco-système radicalement différent du nôtre. Pas seulement pour les végétaux, mais aussi pour les animaux.

Comme partout ailleurs on a, en Australie, des inter-actions très importantes entre les animaux et les végétaux. On a des équilibres très délicats qui ont mis des milliers d’années à se mettre en place. Donc les exemples de forêts comestibles australiennes ne sont pas transposables chez nous pour une raison extrêmement simple : on n’a pas le même éco-système en Australie et en France, on n’a pas les mêmes plantes et on n’a pas les mêmes animaux.

Or, si on lit des bouquins de permaculture, on va trouver des catalogues d’arbres et de plantes qui vont constituer des ensembles homogènes et cohérents sous différentes latitudes et, en allant piocher dans ses ouvrages, on va ainsi constituer des forêts d’origine anthropiques, avec parfois une grande variété d’arbres ou de plantes qui ne poussent pas forcément spontanément sous nos climats.

Du coup, à cause de ça, beaucoup de gens en France perçoivent, à tort, les forêts comestibles comme des forêts artificielles créées par l’homme pour produire une grande abondance de nourriture sur une petite surface, avec une très importante biodiversité végétale et un étagement de la végétation qui permet à toutes les plantes de profiter du soleil.

Or ce n’est pas du tout ce qui se passe en Australie. Le modèle de l’Australie, avec des essences natives de ce continent, n’est pas transposable en France parce que nous n’avons pas les mêmes éco-systèmes.

Il y a là derrière cela deux idées fausses qui méritent d’être soulignées. La première c’est que la forêt comestible est créée de toute pièce en plantant des arbres fruitiers qui viennent des 4 coins du monde. Suivant ce modèle, l’humain intervient dans un éco-système qu’il a réduit à néant, c’est-à-dire à l’état de prairie, et il y introduit des plantes sans se soucier de savoir si oui ou non elles étaient natives de cet éco-système.

Si vous plantez des arbres fruitiers sur un terrain alors cela porte déjà un nom, ça s’appelle un verger. Ce n’est pas une forêt comestible. Le besoin d’utiliser une nouvelle expression pour désigner une idée ancienne traduit à mon sens une volonté de faire fi du passé pour faire croire qu’on a ré-inventé le fil à couper le beurre. Les vergers existent depuis des siècles et les vergers multi-étagés, les vergers potagers, ne sont pas davantage une invention moderne. On peu inventer toutes les expressions de la Terre, mais un verger multi-étagé reste. . .un verger. Par ailleurs un verger ne se reproduit pas tout seul. Dans 200 ans votre verger il aura disparu. Ce n’est pas de l’agriculture permanente votre verger alors que, dans 200 ans, une forêt comestible elle sera toujours là parce que, contrairement au verger, et bien la forêt comestible elle se reproduit toute seule, sans intervention humaine, c’est de l’agriculture permanente.

La seconde idée qui est à relever c’est que l’on doit étager la végétation de façon à ce que le soleil touche un maximum d’arbres et de plantes. Par exemple on disposera les arbres de haute futaie au nord du terrain, puis un peu plus au sud on mettra des arbres qui poussent un peu moins haut, puis encore plus au sud on plantera des arbustes, et pour finir dans la partie la plus au sud certains pourront même pousser le truc à l’absurde en allant jusqu’à installer un potager (qui restera. . .un potager à côté d’un verger).

Sur les arbres on fera grimper des lianes nourricières, des kiwis par exemple, comme ça on aura de la nourriture encore plus près du sol. Et enfin, sur le sol, on fera là encore pousser de la nourriture. En résumé donc, on étage la végétation en classant les arbres et les plantes en fonction de leur hauteur.

Cette idée de faire rentrer la lumière on la retrouve jusque dans les forêts déjà établies. Vouloir étager la végétation cela veut dire couper des arbres et en tailler d’autres pour faire entrer de la lumière. Il va falloir tailler des arbres si vous voulez faire entrer un puits de lumière pour installer un potager. Il va falloir en tailler d’autres si vous voulez favoriser un arbre nourricier plus petit que les autres et qui se retrouve à l’ombre.

Bref, absolument tout le contraire de ce que fait la nature. Dans une forêt la nature laisse entrer la lumière après la chute d’un arbre ou après un événement destructeur pour permettre à des jeunes arbres de grandir et de se développer. La nature ne taille pas les branches d’un érable champêtre parce qu’il fait de l’ombre à un olivier, c’est juste absurde. Si il est nécessaire de tailler un arbre pour qu’un autre survive, alors cela signifie que votre système ne fonctionne pas sans intervention humaine.

C’est une question botanique essentielle à comprendre si vous voulez comprendre ce que c’est une forêt comestible : pourquoi est-ce qu’il faut couper des arbres et en tailler d’autres pour avoir de la lumière ? Pourquoi est-ce que, dans la nature, quand on ne fait rien, alors la lumière n’arrive pas toute seule sur le sol ?

Et bien pour une raison toute simple, c’est qu’il existe un ordre naturel d’évolution de la végétation de nos éco-systèmes français qui tend à faire évoluer toutes les terres sur lesquelles les humains n’ont aucune activité vers des forêts.

Et quand je dis aucune activité c’est réellement aucune activité au sens premier du terme. Mettre des chevaux ou des vaches dans un pré, c’est une activité humaine par exemple. Protéger ou diffuser une espèce invasive comme l’herbe de la pampa, et bien c’est aussi une activité humaine. Sans humains pour assurer leur diffusion il n’y aurait pas d’herbe de la pampa en France. Donc que les choses soient bien claires, quand je dis aucune activité c’est véritablement rien, nada, comme si les humains n’existaient pas.

Le territoire naturel sauvage de la France, quand l’humain ne fait rien, et bien c’est 80% de forêts. Et donc quand les humains abandonnent un lieu alors ce lieu se transforme naturellement en forêt. Si tous les humains disparaissaient et bien dans 100 ans il y aurait 80% de forêts sur le sol français.

On appelle ce phénomène la succession écologique.

En agriculture permanente on cherche à transformer l’éco-système pour produire de la nourriture sans intervention humaine, et donc sans travail pour le faire fonctionner.

Chêne

Figure 1 : Chêne.

Ce qu’on cherche à faire c’est fabriquer des éco-systèmes qui fonctionnent tout seuls, de façon sauvage, complètement autonome.

Et donc le moyen le plus efficace possible pour y parvenir, en France ça va être, dans 80% des cas, une forêt.

Parce que si on fait n’importe quoi d’autre qu’une forêt et bien la nature sera une force qui s’opposera à nous pour transformer ce qu’on a fait en une forêt, et il faudra lutter contre la nature et donc dépenser de l’énergie et du travail pour maintenir notre création. Le lierre envahira les pierres de nos maisons et les fera s’écrouler. Les herbes folles envahiront nos champs, puis des arbres commenceront à y pousser. Les ronces commenceront à recouvrir nos potagers ou nos vergers et peu à peu la forêt occupera tout l’espace.

Parce que si on fait n’importe quoi d’autre qu’une forêt et bien la nature sera une force qui s’opposera à nous pour transformer ce qu’on a fait en une forêt, et il faudra lutter contre la nature et donc dépenser de l’énergie et du travail pour maintenir notre création. Le lierre envahira les pierres de nos maisons et les fera s’écrouler. Les herbes folles envahiront nos champs, puis des arbres commenceront à y pousser. Les ronces commenceront à recouvrir nos potagers ou nos vergers et peu à peu la forêt occupera tout l’espace.

Alors que si on fait une forêt dès le début, et bien on n’a pas à dépenser d’énergie pour lutter contre la nature parce qu’on fait ce que la nature aurait fait de toute façon, on va dans le même sens que la nature et donc on n’a presque aucun travail à fournir pour entretenir notre création.

Chêne

Figure 2 : Noyer.

Mettre en place une forêt comestible c’est construire un biotope qui ne demande aucun entretien parce que la forêt est l’état naturel de la France. Dit autrement, la France à l’état naturel, c’est une forêt géante. Et donc dans une forêt on n’a pas besoin d’arroser, de désherber, de pailler, de semer, de rempoter, de mettre de l’engrais, ou de faire quoi que se soit. . . on n’a absolument rien à faire, une forêt comestible ça produit tout seul de la nourriture.

Alors comment on fait une forêt comestible vous allez me dire ?

Comme pour beaucoup de choses en permaculture, on commence par l’observation. La première chose à faire c’est de repérer quelles sont les essences nourricières qui poussent naturellement dans un éco-système. C’est les essences natives qui permettront d’avoir des forêts le plus sauvage possible. C’est le système optimal. Une forêt sauvage fonctionne toute seule, se reproduit toute seule, elle est stable et elle est endurante aux aléas climatiques.

Si on prend l’exemple de ma forêt on trouve, entre autres essences nourricières, des châtaigniers, des noyers, des chênes et des noisetiers. Par ailleurs la lisière de la forêt est occupée par des ronces, des églantiers et il y pousse également des fraises des bois.

On a donc, à l’état naturel et sans avoir rien à faire, des marrons, des noisettes, des glands, des noix, des mures, des baies d’églantiers et des fraises des bois. Les marrons sont une source de glucide importante, on va y trouver le même intérêt que la pomme de terre ou le blé dans l’alimentation. Une ressource très importante donc.

Les noisettes et les noix sont une source de lipides. Les noisettes en contiennent environ 60% et les noix environ 65%.

Les glands de chêne sont parfaitement comestibles pour les humains. Le problème ça va être d’éliminer le tanin, mais il existe toute sorte de méthodes pour le faire.

J’ajouterai à cette liste d’essences nourricières une ressource importante : le lierre qui me sert à faire ma lessive. C’est un exemple de plante grimpante qui va occuper un étage intermédiaire entre la couverture de sol et la cime des arbres. Voilà en gros pour les arbres et les plantes nourricières de ma forêt donc.

Mais, bien évidemment, dans d’autres éco-systèmes, ça sera peut-être des essences nourricières totalement différentes. La nature sauvage est différente dans toutes les régions de France et il suffit de regarder par la fenêtre d’un train quand on voyage pour s’en rendre compte. À d’autres endroits vous aurez peut-être des oliviers par exemple, ou des pommiers sauvages, ou d’autres essences, ça va dépendre de la région dans laquelle vous vous trouvez.

C’est pour cela que le travail d’observation est le premier a effectuer. Il ne devra pas uniquement être mené sur votre terrain mais tout autour : dans votre village, et dans les villages autour du votre également. Il vous permettra d’établir une liste des arbres et des plantes comestibles qui poussent à l’état sauvage dans votre éco-système.

Une fois que l’on a fait ce travail d’observation et identifié quels sont à l’état naturel les arbres et les plantes qui produisent de la nourriture et bien on va construire un éco-système autour de ces arbres et de ces plantes.

Concrètement dans ma forêt je favorise les châtaigniers, les chênes, les noyers et les noisetiers. Lorsqu’il y en a un beau qui pousse à un endroit où l’arbre n’aurait naturellement pas pu grandir et devenir adulte. Et bien je le déterre et le replante dans la forêt à un endroit où il pourra survivre, grandir et devenir adulte. Le facteur génétique est parfait puisque ce sont des arbres natifs de cet éco-système et que je choisis les plus beaux. La seule chose qui les aurait empêchés de vivre ce n’est pas la qualité de leurs gènes c’est le hasard qui les a placés à un endroit défavorable. Je corrige le hasard, et c’est tout ce que je fais. En déplaçant ces arbres je relance les dés et j’annule les effets du hasard.

En complément de ma forêt comestible, j’ai également un verger. Je produis une demi douzaine de variétés de pommes, des poires, des cerises, des prunes, des coings, des abricots, des amandes, des figues, et toutes sortes d’autres fruits. . .mais le truc dont je suis en train de vous parler ce n’est pas un verger. C’est une forêt comestible.

On est dans ce qu’on appelle en permaculture la zone 4, c’est-à-dire la zone semi-sauvage. C’est dans cette zone semi-sauvage que je fais pousser mes champignons par exemple. J’y produis de la nourriture avec quasiment aucune intervention de ma part. C’est une forêt comestible qui sera toujours là dans 100 ans, c’est de l’agriculture permanente.

Et petit à petit, petit bout par petit bout, j’améliore le système en introduisant de nouveaux éléments.

Par exemple, comme vous l’avez compris, j’ai introduis l’ail des ours dans cet éco-système

L’ail des ours est une espèce dite sciaphile, elle tolère bien l’ombrage et elle s’installe lors du dernier stade de la succession écologique. C’est donc une plante qui a naturellement sa place dans une forêt aboutie, parce que c’est le milieu dans lequel elle pousse naturellement, toute seule, à l’état sauvage.