Février

Melon

Sous le climat de Paris, la culture des melons a toujours quelque chose de plus ou moins forcé, parce que la chaleur arrive trop tard au printemps et que le froid revient trop tôt à l'automne pour que cette plante puisse produire son fruit avec la perfection convenable à son espèce. Nous sommes donc obligés de donner au melon, pendant sa première croissance et souvent pendant ses cinq ou six mois d'existence, la chaleur et l'abri que notre climat lui refuse.

Le melon est une plante annuelle à fleur monoïque[1], de la famille des cucurbitacées ét du genre concombre ; elle a des racines menues qui tracent jusqu'à 2 mètres autour du pied à quelques centimètres au-dessous de la surface de la terre ; sa tige, rameuse, munie de vrille, de feuilles alternes et de fleurs axillaires, rampe Sur terre et se ramifie ; son fruit, ovale ou arrondi, lisse, brodé, cannelé et plus ou moins gros selon les variétés, est la seule partie qui se mange.

La culture des melons étant l'une des principales branches de la culture maraîchère à Paris, nous allons entrer dans tous les détails de notre pratique, telle que nous la faisons généralement aujourd'hui, car elle n'a pas toujours été la même, et elle pourra subir des modifications par la suite : ainsi, quand nous ne cultivions que le melon brodé ou maraîcher, la culture de cette variété était assez simple ; à présent que les cantaloups sont, a juste titre, préférés au melon maraîcher, la culture s'est enrichie de nouveaux procédés pour obtenir des cantaloups dans toute leur perfection.

Une nouvelle espèce pourra un jour exiger que l'on trouve de nouveaux procédés pour la cultiver avec succès et profit 5 car, sans profit, il n'y a pas de culture maraîchère possible.

Il est inutile de prouver que la culture maraîchère ne peut se soutenir sans profit ; mais il n'est pas indifférent, sinon de prouver, du moins de faire voir que nous ne pouvons et ne devons pas cultiver certains melons très estimés par leur précocité, mais d'une petitesse telle que, seraient-ils d'une qualité supérieure, nous ne pourrions jamais les vendre ce que leur culture nous coûterait ; nous voulons parler du melon ou cantaloup orange et de quelques-unes de ses variétés. Certainement ces melons sont plus précoces que ceux que nous cultivons : on les sème dès les premiers jours de décembre, et on en obtient des fruits murs dès les premiers jours d'avril ; mais ces fruits sont gros comme des pommes ou comme le poing, et certes leur vente à la halle ne payerait pas à beaucoup près leurs frais de culture, en supposant, toutefois, qu'on pût les vendre. Abstraction du prix, le public de Paris ne s'accoutume pas aisément aux nouvelles productions horticoles qu'il ne connaît pas : combien de temps n'a-t-il pas fallu pour l'accoutumer à préférer le cantaloup au melon maraîcher ? En résumé, la culture maraîchère ne peut et ne doit exploiter que les légumes qui ont un cours établi à la halle de Paris, et IIe doit attendre que les autres productions horticoles ou agricoles dont les qualités sont préconisées par ceux qui les connaissent, par quelques amateurs de nouveautés, soient recherchées ou cotées à la halle de Paris pour en entreprendre la culture.

Le melon est la plante maraîchère qui a le plus de variétés ; les unes sont estimées dans un pays et les autres dans un autre. À Paris, ce sont quelques variétés de cantaloup qui sont aujourd'hui les plus recherchées, et, bien entendu, ce sont celles-là que les maraîchers cultivent de préférence. La manière et le temps de semer le melon et de l'élever sont assez uniformes chez la plupart des jardiniers ; mais la nécessité et la manière de le tailler sont jugées très-diversement par beaucoup de jardiniers et de théoriciens. Les maraîchers de Paris sont ceux qui font le moins de raisonnements sur la taille du melon ; mais le constant succès de leur pratique est là pour assurer qu'ils sont dans la bonne voie.

Nous divisons la culture du melon en trois saisons, savoir :

  1. De primeur ;
  2. En tranchée ;
  3. Sur couche.

Semis de primeur

Dans les premiers jours de février[2],{ C'est généralement l'époque où nous faisons notre premier semis de melon ; mais on pourrait le faire dès le mois de décembre (voir nos observations), on fait une couche mère (voir ce mot au chapitre VIII), que l'on charge d'un coffre à un panneau dans lequel on met un lit de terreau épais de 10 centimètres, et on la couvre d'un châssis. Quand le terreau est retombé à la, température de 30 degrés centigrades à la profondeur de 8 centimètres, on sème la graine de melon en rayon ou à la volée, et on la recouvre de 15 millimètres de terreau ; on replace le châssis, sur lequel on met un paillasson qu'on laisse jusqu'à ce que la graine soit levée, ce qui a lieu en quatre ou cinq jours ; dès qu'elle est sortie de terre, on ôte le paillasson dans le jour pour que le jeune plant jouisse de la lumière et ne s'étiole pas, et on le remet, chaque soir, à bonne heure ; de plus, si la gelée est à craindre, on s'y oppose par les moyens connus. Quand l'enveloppe qu'ont soulevée les cotylédons est tombée, il est temps de faire une autre couche appelée {\it couche pépinière}, de même épaisseur que la précédente, mais assez longue pour recevoir un coffre à deux ou trois panneaux, car il faut bien sept ou huit jours pour que le terreau de cette nouvelle couche soit descendu à la température indiquée ci-dessus, et pendant ce temps le plant a suffisamment grandi pour être en état d'être repiqué en pépinière.

Ce repiquage se fait de deux manières, et, comme chacune a ses partisans, nous allons les exposer toutes deux, en les faisant suivre de notre propre opinion.

Première manière — Quand le terreau de la couche pépinière est parvenu à la température convenable, on va à la couche mère, on soulève le plant en passant la main ou une houlette au-dessous des racines et faisait, une. petite pesée ; ensuite on tire le plant de melon de terre en ménageant bien ses racines, et on va le repiquer à la main (ce qui est préférable au plantoir) dans le terreau de la nouvelle couche, en enfonçant la tige jusqu'auprès des cotylédons et plaçant les plants à 12 centimètres les uns des autres. Dès que la largeur d'un panneau est repiquée, on rabat de suite le châssis, qu'on couvre d'un paillasson et qu'on laisse ainsi pendant trois ou quatre jours pour faciliter la reprise du plant ; après ce temps, on lui rend la lumière du jour et on continue de le gouverner en raison de la saison.

Deuxième manière — Quand la couche pépinière est faite, le coffre placé et le terreau étendu, on n'attend pas que le coup de feu soit passé ; on y enfonce de suite des pots à melon vides (il en tient de soixante-quinze à quatre-vingts par panneau), on les emplit d'une bonne terre douce mélangée de terreau par moitié, on tasse un peu avec la main, et de suite on ferme les châssis, on couvre de paillassons, s'il est nécessaire, pour hâter la fermentation. Quand la terre de ces pots est parvenue à la température requise, on repique dans chacun d'eux un seul plant de melon à la main ou au plantoir avec tout le soin convenable, on ferme les châssis, sur lesquels on met des paillassons comme dans l'autre manière et pour la même raison.

À présent, nous allons dire notre pensée sur ces deux méthodes.

Si le melon, ainsi repiqué en pot, pouvait être planté à demeure le premier jour qu'il est en état de l'être, ces deux manières de le repiquer pourraient être à peu près indifférentes ; mais il arrive très-rarement qu'on puisse planter un melon aussitôt qu'il est bon à être planté ; on ne le plante le plus souvent que six, huit ou dix jours après, et quelquefois plus tard encore : or celui repiqué en plein terreau ne souffre pas de ce retard, ses racines s'allongent à leur aise, et, quand on veut le planter à demeure, on l'enlève à deux mains avec une bonne motte et on va le placer dans le trou qui lui est préparé, sans que ses racines soient contournées.

Si, de l'autre côté, un pied de melon repiqué dans un petit pot y reste huit ou dix jours plus qu'il ne faudrait, ses racines sont obligées de se contourner ; ce qui, selon nous, retarde son établissement comme il faut dans le trou où on le plante à demeure. Cette dernière plantation a l'avantage, il est vrai, de pouvoir se faire plus promptement, même par un temps peu favorable, et cependant nous préférons le repiquage en plein terreau.


[1] C'est-à-dire que la plante porte deux sortes de fleurs, les unes mâles et les autres femelles : les fleurs mâles se montrent les premières et sont constamment les plus nombreuses, on les reconnaît en ce qu'elles manquent d'ovaire ; les fleurs femelles sont solitaires, plus grandes et se reconnaissent en ce qu'elles ont au-dessous d'elles un gros ovaire figuré en olive. En jardinage, le fleur mâle des melons et concombres s'appelle fausse-fleur, et la fleur femelle s'appelle maille.