Octobre

Nous venons de donner la culture à froid, pendant l’hiver, de la laitue hâtive dite petite noire ou crêpe ; à présent, nous allons donner la culture forcée de cette même espèce, qui est la seule laitue qui ait la propriété de pommer sous cloche et sous châssis sans avoir besoin d’air : aussi nous ne la cultivons que sous châssis et sous cloche jusqu’en mars.

Laitue petite noire ou crêpe

Culture forcée — Il faut semer la graine de cette laitue, du 5 au 15 octobre, non en pleine terre comme précédemment, mais sur ados préparé comme il est dit chapitre VIII, et sous cloche ; et, comme le plant devra être repiqué très-jeune, on pourra faire le semis assez dru. En cette saison, la graine lèvera en quatre ou cinq jours, et, huit ou dix jours après, le plant sera bon à être repiqué : alors on le repique sur un ados semblable à celui où il a été semé, et on ne met que vingt- quatre plants sous chaque cloche, terme moyen.

En donnant à ce plant les soins ordinaires, il doit être large comme une pièce de 5 francs et plus, vers le mois de décembre, et bon à être planté en place ; alors on fait des couches sur terre, dites couches d’hiver (voir ce mot, chapitre VIII), et quand leur température est arrivée au point convenable, que leur terreau est bien préparé, les coffres placés dessus et assez pleins pour que le terreau ne soit qu’à 10 centimètres du verre, on lève le plant avec une petite motte et on vient le planter sur ces couches dans les coffres,de manière à en placer de 50 à 65 à distance égale sous chaque panneau de châssis, et que le rang du bas soit à 16 centimètres du bois, afin que l’ombre du devant du coffre ne l’étiolé pas ; à mesure que l’on a planté la largeur d’un panneau, il faut de suite remettre ce panneau de châssis sur la jeune laitue, pour la garantir de l’air.

Quand la laitue est ainsi plantée, il faut la visiter au moins tous les huit jours, pour voir si quelques insectes ou mollusques ne la mangent pas et pour ôter les feuilles qui pourraient pourrir. Aux premières gelées, on entoure les couches d’un accot, afin de conserver leur chaleur et que le froid extérieur ne les pénètre pas ; on couvre les châssis avec des paillassons ; si le froid augmente, on emplit les sentiers de fumier sec jusqu’à la hauteur des coffres, on double les paillassons ; s’il tombe de la neige, on va secouer les paillassons en dehors des couches, on pousse par les bouts celle qui est tombée dans le sentier avant qu’elle ne fonde, afin qu’elle ne refroidisse pas les couches, ce qui nuirait beaucoup à la santé des laitues.

Chez les maraîchers qui prennent toutes les précautions possibles pour bien conduire leur plant en cette saison, il est d’usage, quinze jours ou trois semaines après que la laitue est plantée et que son cœur commence à se former, de lui supprimer les deux ou trois-feuilles avec lesquelles on l’a plantée, lesquelles feuilles alors sont devenues fort grandes et ne peuvent plus contribuer à former la pomme ; cette opération s’appelle éplucher : dans les plantations de mars, elle est moins nécessaire, et on peut la négliger.

Plusieurs maraîchers ont pris l’habitude, depuis quelques années, de semer sur leurs couches de la graine de carottes hâtives en même temps qu’ils y plantent de la laitue, et ces carottes succèdent aux laitues ; mais d’autres n’approuvent guère cette culture, et ils préfèrent semer leurs carottes hâtives sur une couche à part avec des radis.

La laitue noire ou crêpe, semée du 5 au 15 octobre et plantée au commence- ment de décembre, est pommée et bonne pour la vente vers la fin de janvier et le commencement de février.

C’est sur ces couches à laitue que nous plantons aussi nos choux-fleurs, petit et gros salomon, comme nous l’avons dit.

Mais, dans le courant de décembre et janvier, il peut arriver un temps qui ne permette pas de faire des couches, ni de planter, tandis qu’on a encore beaucoup de plants de laitue repiqués sur les ados, et il faut garantir ce plant des rigueurs de la saison, pour le planter plus tard. On commence par faire un accot sur le derrière de l’ados, et on couvre les cloches, la nuit, avec des paillassons. Si la gelée augmente, on met du fumier très court, très sec et très serré entre les cloches, d’abord de l’épaisseur de 10 à 12 millimètres, et enfin de la hauteur des cloches si le froid continue d’augmenter, et, par-dessus tout cela, des paillassons simples ou doubles, triples même au cas de besoin ; et, quand le soleil luit par une belle gelée, on ôte les paillassons, on dégage le bonnet des cloches, afin que les rayons du soleil pénètrent, réchauffent et revivifient le plant de laitue qui est dessous, et, dès trois heures de l’après-midi, on recouvrira pour la nuit suivante. Mais enfin le temps se radoucit, et, quand il n’y a plus de fortes gelées à craindre, on fait ce que l’on appelle des couches à laitue, c’est-à-dire des couches qui n’ont que 32 centimètres d’épaisseur de fumier chargé de, 10 centimètres de terreau ; on place sur ce terreau trois rangs de cloches en échiquier, et on plante sous chaque cloche quatre laitues noires et une romaine au centre ; on continue de couvrir et découvrir, selon la température atmosphérique, jusqu’à ce que la laitue soit pommée.

Celles de ces laitues noires ou crêpes qui ont été plantées sur couche et sous châssis, vers le 10 décembre, sont pommées et bonnes à vendre dans le courant de janvier ; celles qui ont été plantées plus tard sur couche et sous cloche sont pommées et bonnes à vendre dans le courant de février et en mars.

C'est à présent l'époque de planter sur couche une très-grande partie du plant de laitue et de romaine , que nous avons conservé avec tant de soin sous cloche sur des ados : il y en aura encore à planter jusqu'au mois de mars; mais janvier est l'époque où nous commençons nos cultures forcées sous cloche. Dans ce but, nous faisons, dans le courant du mois, un certain nombre de couches d'hiver, c'est-à-dire de la même épaisseur que celles à châssis, mais sur lesquelles nous ne plaçons que trois rangs de cloches (voir la composition de ces couches, chapitre VIII) : a mesure qu'on les fait[1], on les charge de terreau qu'on laisse s'échauffer avant de le border, qu'on égalise après en y en ajoutant un peu s'il le faut, afin qu'il y en ait partout 12 ou 13 centimètres d'épaisseur. On place sur ce terreau trois rangs de cloches se touchant presque et en échiquier, afin de perdre moins de place. Si le temps est à la gelée, on peut étendre des paillassons sur les cloches, afin d'amener le terreau à la température convenable (30 degrés) le plus tôt possible; quand le terreau est arrive à ce degré, après le coup de feu s'il a lieu, on procède à la plantation : on pourrait planter d'abord une romaine au milieu de la cloche et planter ensuite quatre laitues petites noires autour de la romaine à distance convenable; mais notre usage, ainsi que celui de tous les maraîchers primeuristes, est de planter d'abord les quatre laitues aux distances convenables du centre et du bord de la cloche, et de planter ensuite une romaine au centre , avec la précaution que les laitues soient à 8 centimètres du verre de la cloche, afin que, en grossissant, ses feuilles ne touchent pas le verre, car elles pourraient être flétries par la gelée ou brûlées par le soleil. Nous avons encore la précaution de choisir le plus beau plant de romaine avec une belle motte pour planter entre les quatre laitues.

On sent bien qu'au mois de janvier il faut que cette plantation se fasse vivement, que, quand une cloche est enlevée, il faut planter la clochée et remettre la cloche dessus tout de suite, mais qu'il faut encore, dans cette saison, veiller non-seulement à ce que la gelée n'atteigne pas la plantation, mais aussi à ce que la couche ne se refroidisse pas trop vite. On pare à ces deux inconvénients en faisant un bon accot autour des couches, en emplissant les sentiers de fumier neuf et sec, en couvrant soigneusement les cloches avec des paillassons la nuit et même pendant les jours où il gèle ou neige, en ne laissant pas fondre la neige sur les paillassons ni dans les sentiers, et en ne négligeant pas de faire profiter le plant du soleil à travers le verre toutes les fois qu'il luit.

Quand le temps permet de lever les cloches pour visiter les plants, on en profite pour ôter les feuilles mortes ou défectueuses et tout ce qui pourrait occasionner la pourriture.

La laitue noire ainsi traitée est bonne à vendre vers la fin de février ; quant à la romaine, elle est bonne à lier quatre jours après que la laitue est enlevée, et huit jours après, c'est-à-dire dans la première huitaine de mars, elle est bonne à livrer à la consommation.

On fait ainsi des couches successivement depuis janvier jusqu'en mars, et on les plante en laitue noire et en romaine de la manière que nous venons de dire ; mais en mars on peut faire les couches moins épaisses, et, huit jours après qu'une couche est plantée, on plante encore un pied de romaine dans chaque vide qui reste en dehors des cloches : cette dernière romaine ne vient pas aussi vite, bien entendu, que celle qui est sous cloche ; mais, quand celle-ci est enlevée, on remet la cloche sur celle qui était restée à l'air, et cela la fait avancer et coiffer rapidement, et elle peut être livrée au commerce au commencement d'avril, si elle a été clochée fin de février.

Carotte

Plante de la famille des ombellifère et du genre dont elle porte le nom ; sa racine est grosse, simple , pivotante, fusiforme; ses feuilles sont multifides , trois fois allées et menues ; la tige s'élève à près de 1 mètre, se ramifie un peu, et chaque extrémité se couronne d'une ombelle de petites fleurs blanches auxquelles succèdent des fruits ou graines hérissé : il n'y a que la racine de cette plante qui soit en usage dans l'art culinaire. On compte une douzaine de variétés de carottes, dans les potagers et la grande culture, qui ont chacune leur mérite; mais, en culture maraîchère, nous n'en cultivons que deux.

Carotte hâtive

Culture forcée — Elle se sème dans les premiers jours de ce mois sur couches d'hiver (voir ce mot au chapitre VIII), sur lesquelles on place des coffres; dans ces coffres on met un lit de terreau épais de 11 à 14 centimètres, et on place les panneaux de châssis quand la température du terreau est arrivée au point convenable, on y répand la graine de carotte un peu plus épais qu'un semis en pleine terre[1], parce que la carotte ne doit pas rester si longtemps en place , et on couvre a graine de 2 centimètres de terreau que l'on plombe avec le bordoir, car la graine de carotte, étant hérissée de poils crochus, a plus besoin d'être plombée que toute autre pour ne pas laisser de vide entre elle et la terre. Quand la graine est levée, on lui donne de l'air autant que la saison le permet, et, toutes les fois qu'il y a un jour ou quelques heures de temps doux, on retire entièrement les panneaux. de châssis et on les replace promptement quand le temps change.

Il va sans dire qu'on préserve ces jeunes carottes de la gelée par tous les moyens déjà indiqués. Si on ne néglige rien dans cette culture, on peut arracher de cette carotte, bonne pour la vente, dans le courant de mars et continuer en avril ; elles sont très estimées et très recherchées à cette époque , d'abord parce qu'elles ne sont pas grosses, ensuite parce qu'on les trouve meilleures que les carottes de l'année précédente conservées l'hiver, à cause de leur nouveauté, leur tendreté et leur couleur rouge.

Carotte hâtive en seconde saison

Culture forcée — On sème encore cette carotte en février et mars sur couches de printemps (voir ce mot au chapitre VIII), sans châssis et sans cloche; mais il faut établir deux rangs de gaulettes sur ces couches pour soutenir les paillassons dont on les couvre la nuit, et pour préserver les carottes de la gelée : ces carottes succèdent aux précédentes jusqu'à ce que celles des côtières viennent les remplacer.

Carotte demi-longue

Celle-ci ne se cultive qu'en pleine terre par les maraîchers de Paris, et nous la semons depuis la fin de janvier, quand le temps le permet, jusqu'au mois d'août. Nous faisons notre premier semis de carotte demi-longue en janvier ou février, dans une côtière, où nous plantons notre première romaine en pleine terre. On se rappelle que nous avons déjà dit que , quand on sème et plante une planche en même temps, on commence par le semis. Ainsi, quand la côtière est labourée et hersée, on sème la carotte, on la herse une seconde fois et on la plombe avec les pieds; on répand ensuite sur toute la côtière un lit de terreau épais de 2 centimètres que l'on plombe. encore, car la graine de carotte, surtout, a besoin d'être bien plombée ; après quoi, on plante la romaine verte, et même les choux-fleurs, si le mois de mars approche : la carotte semée ainsi en côtière commence à donner vers la fin de mai.

Une fois mars arrivé, on sème la carotte en plein carré, en y mêlant quelques graines de radis, de laitue ou de romaine, ou on y plante de suite de la laitue ou de la romaine. Tous ces légumes sont enlevés avant que la carotte soit venue, et lui laissent delà place pour se fortifier.

On sème ainsi la carotte demi-longue tous les mois jusqu'en août. Le produit du dernier semis se vend dans l'automne, et est plus tendre et plus recherché, à cette époque, que les grosses carottes semées au printemps. Nous ne devons pas oublier de dire que la carotte aime beaucoup l'eau, et que tous les semis d'été doivent être soutenus à la mouillure.

Melon

Observations — Nous avons déjà dit (voir nos observations), qu'on pouvait semer le melon en décembre ; on peut en semer aussi en janvier avec plus d'espérance de succès, surtout en faisant usage du thermosiphon dans les châssis. Mais cet appareil n'est pas encore introduit dans la culture maraîchère, quoique M. Gontier s'en serve dans ses cultures forcées depuis quelques années. Quand il sera bien reconnu que les avantages du thermosiphon l'emportent sur la dépense de son établissement et de son entretien , alors les maraîchers primeuristes l'introduiront immanquablement dans leur culture avec d'autant plus d'empressement que le prix toujours croissant du fumier de cheval commence à diminuer singulièrement leur bénéfice : jusqu'à présent nous n'avons pas encore semé nos premiers melons avant le mois de février.


[1] Il y a des jardiniers qui laissent 33 centimètres de distance entre chaque couche, ou un sentier de \pieds{1} de large, et qui ensuite le remplissent avec du fumier neuf ou mélangé , ce qui forme ce qu'on appelle réchaud; mais les maraîchers, en montant leurs couches , les appuient l'une contre l'autre, trouvant qu'elles se réchauffent aussi bien de cette manière que par un réchaud.

[2] Il y a des maraîchers qui, quand la carotte est semée, y mêlent trente laitues noires par panneau de châssis, et dans ce but ils ont semé la carotte un peu clair; mais la laitue noire ne voulant pas d'air pour pommer, et la carotte en voulant beaucoup pour bien venir sous châssis, ces deux plantes ne peuvent guère être cultivées ensemble comme primeur, puisque l'air est favorable à l'une et nuisible à l'autre. Cependant la nécessité de multiplier les saisons de primeur les font cultiver ensemble sous châssis..