LES DIFFÉRENTS ÂGES DU VERGER EN «BOUCHÉ-THOMAS»

« Votre méthode ne heurte pas la nature,
elle la dirige sans la contraindre,
et c'est déjà beaucoup ; mais elle fait mieux encore :
elle permet une mise à fruits rapide,
prolonge la période de productivité des branches,
retarde leur décrépitude et leur conserve même cette précieuse jeunesse... »
Lettre personnelle de M. A. Louis à l'auteur - Mars 1952.
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Figure 71 : Verticalité : vigueur du bois.
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Figure 72 : Les branches que tient en mains M. BOUCHÉ-THOMAS sont des gourmands de deux ans. Une fois inclinés, leurs pousses latérales amorcent déjà la charpente de demain.

RAPPEL DE PRINCIPES

Lorsqu'une méthode est nouvelle, il est des redites qui s'imposent pour la bien faire comprendre.

Toutes nos interventions découlent de constatations très simples, mais riches de conséquences pratiques :

A. Dans une branche en :

1° Position verticale : la sève circule avec intensité et se porte avec force vers le haut, favorisant l'allongement rapide de l'œil terminal et de ses voisins, au détriment des yeux de la base qui auront tendance à rester latents; c'est la position de la vigueur, de la pousse à bois : nous garderons donc verticaux les rameaux que nous voulons voir s'allonger pour former la charpente (fig. 71) ;

2° Position inclinée : la sève circule plus lentement et se répartit par suite de façon plus régulière et homogène dans les différents yeux tout au long de la branche (fig. 72). L'œil terminal seul reçoit un excédent de sève, qui lui permet de s'allonger encore, en redressant sa pousse ; les autres yeux se transforment en boutons à fruits : c'est une position de fructification et d'équilibre mais d'équilibre variable car, à mesure qu'on accentue l'inclinaison du rameau pour l'approcher de 30 degrés, le courant de sève, rencontrant un obstacle croissant à sa montée, tend à s'échapper plus vite sous forme de gourmands, de-ci de-là, au long de la branche, mais surtout à sa base : ils serviront à développer la charpente en surface et en épaisseur, et seront, plus tard, inclinés à leur tour.Le cycle commencera, jusqu'à ce que l'arbre ait épuisé son besoin d'extension lié à sa vigueur.

La conduite en bouché-thomas utilisera tour à tour ces positions, pour obtenir, par la verticale l'allongement vigoureux des rameaux, par une inclinaison moyenne leur mise à fruits, qui s'accompagnera, lors d'une inclinaison plus prononcée, vers 30 degrés, d'un départ de gourmands pour étoffer la charpente.

Elle s'efforcera d'harmoniser leur nombre avec le débit de sève qu'assure la vigueur de l'arbre pour une longueur totale escomptée de l'ensemble des pousses, c'est le développement recherché pour chacune d'elles qui suggérera combien il en faut faire naître ou conserver, un excès de longueur unitaire étant toujours préférable à l'excès en nombre qui risque de créer le fouillis.

B. Nous renforcerons le rôle régulateur de l'œil terminal en le faisant se développer solitaire par un ébourgeonnement précoce de tous ses concurrents.

C. Les suppressions éventuelles de rameaux ou de pousses lignifiées se font toujours radicales, au sécateur, sur empattement (fig. 66) : tout ou rien.

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Figure 73 : Taille sur empattement : avant.
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Figure 74 : Taille sur empattement : après.

En supprimant radicalement sur empattement la bifurcation à l'extrémité de cette branche, son ensoleillement (par la suite) sera parfait.

Cette taille était dite autrefois, d'une façon imagée, « taille à l'écu », pour préciser qu'il faut conserver deux ou trois millimètres de bois, respecter ainsi les « yeux stipulaires » et leur richesse cachée de fructification.

ANNÉE DE LA PLANTATION

La première année de végétation est celle de la PRISE DE POSSESSION DU SOL par les jeunes arbres.

Notre plantation a été effectuée dans de bonnes conditions : scions de choix, terre bien ameublie, greffe correctement enterrée : la croissance sera vigoureuse, sans excès. Excellent départ qui fait présager pour l'année suivante une première mise à fruits et l'amortissement, si les conditions atmosphériques sont bonnes, d'une partie des capitaux investis : un verger n'est aujourd’hui rentable qu'à ce prix[1].

Une surveillance attentive de nos scions s'impose en cette première aimée : au départ de la végétation, vers le mois d'avril, celle de l'extrémité du scion ; un peu plus tard, à partir de juin celle de sa base, si la fraîcheur du sol a favorisé la végétation.

Le réveil de la végétation s'annonce par l'afflux de la sève à l'extrémité des rameaux : l'œil terminal éclate ; les premières feuilles apparaissent en effet toujours à l'extrême pointe des rameaux non taillés (fig. 20) et prennent rapidement une ampleur très supérieure à celle des feuilles qui naîtront des yeux axillaires, (fig. 19) véritable coup de fouet pour la végétation. Il nous semble en effet que la suppression de l'œil terminal, par la perte d'hormones qu'elle entraîne et le trouble qu'elle introduit dans la circulation de la sève, retarde de plusieurs jours sa montée. Cette perturbation, qui retentit sur la fécondation et la nouaison, ne serait pas étrangère à la coulure et à la première chute des fruits.

L'œil terminal de nos scions doit s'allonger solitaire, et, pour l'y amener, peut-être aurons-nous à ébourgeonner les yeux axillaires situés à son voisinage immédiat (voir p. 47 et fig. 21, 22, 23, 24). Si, par la suite, des yeux latéraux situés un peu plus bas partaient à bois, supprimons-les radicalement à leur tour (au besoin par une taille sur empattement, s'ils sont déjà lignifiés à la base) : nous n'avons que faire de bifurcations à cet endroit. Débarrassé de ces concurrents immédiats , l'œil terminal va profiter désormais seul de toute la sève qui afflue à l'extrémité, et s'allongera par conséquent rapidement en flèche, en se redressant verticalement (fig. 15) pour jouer son rôle merveilleux de régulateur. Si ce travail de dégagement de l'œil terminal n'avait pu être assuré au départ de la végétation, il y aurait, certes, un regrettable gaspillage de sève, mais rien n'est perdu : on supprimera au plus tôt les jeunes pousses concurrentes sur empattement (fig. 18).

Lorsque le bourgeon terminal atteindra un mètre environ, nous pourrons envisager de l'incliner, en direction du bourgeon du scion affronté qui vient à sa rencontre, et de l'y attacher, s'ils s'y prêtent.

Quelques semaines plus tard, à la sève d'août seulement parfois, notre surveillance s'étendra à la base de nos scions inclinés : au départ de la végétation, le courant de la sève s'est porté d'abord vers l'extrémité des scions, mais bientôt leur position oblique très prononcée le rejette en effet vers leur base.

Car cette position oblique de 30 degrés n'a pas été choisie au hasard, mais calculée pour inciter la sève à faire jaillir spontanément, naturellement, sans crans ni entailles ni incisions ou mutilation quelconque, un ou plusieurs rameaux à la base ou au long du scion incliné.

Notre Système, en effet, ne se met pas en peine de symétrie : il utilise les rameaux nés là où la végétation les lui offre, pour bâtir sa charpente avec une rapidité qui ne sera pas au détriment de sa solidité.

Il arrivera, certaines années ou sur telles variétés peu vigoureuses, (car l'affranchissement n'a pas encore joué), qu'aucun départ de bourgeons ne se produise : rien d'inquiétant, simple indice d'un manque momentané de vigueur ; car il faut que l'arbre prenne d'abord solidement possession du sol (c'est souvent ce que le poirier se contente de faire) ; l'an prochain, au réveil de la végétation, ce départ aura lieu (et toujours à la base), et nous y aiderons au besoin par une poignée de nitrate ou du purin étendu d'eau.

Mais si des rejets verticaux perçaient, prenaient, dès cette première année, l'allure de rameaux gourmands, (rameaux maudits, pourchassés, voués au sécateur par les tenants de la taille classique) le bouché-thomas les accueillerait avec empressement pour former rapidement sa charpente et freiner ainsi, sans la gaspiller, leur vigueur.

Si un bourgeon se développe seul et, sans doute, du fait de l'inclinaison, vers la base du scion, n'intervenons pas, laissons-le pousser verticalement, en flèche (fig. 80). Si, contrairement à nos prévisions, il prenait naissance plus haut, vers le milieu du scion, ne le supprimons pas au profit d'un autre que nous voudrions faire naître à la base; car, immanquablement, dès l'an prochain, celle-ci se garnira, rendant superflue notre intervention prématurée.

Il arrive pourtant, si la reprise est particulièrement vigoureuse, que des la première année, plusieurs rameaux se développent, non pas seulement à la base du scion, mais étagés tout au long de celui-ci (fig. 60 et 77) : profitons-en pour réserver, à quelque 30 centimètres les uns des autres, un ou plusieurs rameaux supplémentaires (fig. 75 et 79), promus, eux aussi, au rang de charpentières : car il est indispensable de prévoir alors, et sans remettre à plus tard, des débouchés nombreux au débordement de sève qui s'annonce pour l'an prochain.

Cependant, s'ils naissaient au même endroit ou trop rapprochés, nous aurions intérêt à les éclaircir au plus vite[2], (par ébourgeonnement plutôt que par taille sur empattement), pour ne pas gaspiller la sève en des rameaux dont la concurrence ralentirait l'élongation et retarderait par suite, l'utilisation pour la formation de la charpente. Nous n'en garderions alors qu'un seul le mieux placé dans l'alignement ou le plus apte à former rapidement une nouvelle branche, mais surtout le plus vigoureux ou le plus proche de la base, que renforcera encore l'ébourgeonnement des concurrents voisins.

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Figure 75 : Les gourmands sont tenus inclinés par un fil attaché au scion voisin...
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Figure 76 : ... ou par des crochets de châtaignier.

Éliminons aussi les rameaux latéraux que certaines variétés ont tendance à multiplier (Belle de Boskoop) : il nous faut, en cette première année, insister surtout sur la solidité de la charpente naissante et favoriser d'abord les branches verticales que nous lui destinons.

Nous nous trouverons donc, en cette fin de la première année, en présence de scions qui ont poursuivi leur élongation sans bifurcation, grâce au dégagement de l'œil terminal, et peuvent porter à leur base un ou plusieurs rameaux de longueur variable, que nous aurons quelque peu inclinés s'ils ont poussé vigoureusement ou, s'ils sont moyens, tout bonnement laissés verticaux (fig. 78).

Entre les deux extrémités : œil terminal en haut, gourmand au bas, la sève, insensiblement, a préparé la fructification de l'an prochain.

Sur une branche inclinée, nous avons (passez-moi la comparaison) deux gendarmes qui empêchant les yeux intermédiaires de partir à bois, les obligent à se transformer automatiquement en boutons à fruits, accrochés directement sur le canal de la sève.

De ce fait, nous ne connaissons plus ces multiples coursonnes, créées et maintenues, par des tailles savantes et répétées, aussi courtes que le permettent leur emplacement et l'équilibre a garder entre elles ; grâce à l'œil terminal, « œil prodigieux pour la fructification », nous nous trouvons en face d'un chapelet de boutons à fruits impressionnant et stable (fig. 47-48).

Notre Méthode faisant l'économie d'un réseau de fil de fer de soutien, il lui faudra, pour disposer convenablement les branches, user de stratagèmes.

Un « fil attache-fruitière », souple, doux, indéfiniment réutilisable, conçu et fabrique spécialement par nous pour les diverses opérations de la Méthode[3], servira de tirant pour amener progressivement les branches en position inclinée sans risque de les éclater.

Il sera rarement nécessaire d'abaisser à 30 degrés ces rameaux gourmands dès l'hiver suivant : cela dépendra de leur vigueur. Mais nous amorcerons cette mise en oblique dès que leur longueur le permettra : 80 cm pour le poirier et les variétés de pommier a bois rigide et cassant; 1 mètre, voire même 1,50 m pour celles à bois flexible.

Il est important d'y procéder par étapes (fig. 77) : car si nous inclinions d'emblée a 30 degrés, dès le premier hiver, un rameau faible[4], nous en détournerions la sève; un nouveau rameau prendrait naissance à sa base, freinant l'essor inachevé de la branche-mère et créant le fouillis. Or pour bien dégager et bâtir solidement, sans fil de fer, l'ossature de nos arbres, il nous faut des branches longues, afin de pouvoir les attacher à leurs croisements (fig. 78 et 85). Avec une légère inclinaison, la courbure est amorcée, laissant pourtant l'œil terminal du gourmand s'allonger encore et, lorsque, plus tard, la branche ainsi éduquée sera abaissée profondément, nul éclatement ne sera plus à craindre : elle rejoindra aisément le gourmand venu à sa rencontre du scion voisin, préparé et conduit de la même façon (fig. 85, 86 et 88). Inclinons-les donc d'abord à 50/45 degrés : nous accentuerons plus tard. C'est ce que nous appelons la

MOBILITÉ DES OBLIQUES

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Figure 77 : DOYENNÉ DU COMICE sur franc, avec affranchissement. Résultat de la 1re année de végétation.

Si le gourmand se trouve au bas du scion, nous l'inclinerons soit en l'attachant à la base du scion voisin (fig. 75) à l'aide de notre « fil attache-fruitière », soit en usant d'un crochet de bois plus économique encore (fig. 76)[5].

S'il est haut placé sur l'oblique, on attachera (fig. 68 et 70), pour l'incliner, le moment venu, quand il aura atteint 1,25 m, son tirant à la base du scion qui lui donne naissance.

Ainsi débute, très simplement le verger en bouché-thomas.

La végétation a été particulièrement vigoureuse ; on garde donc plusieurs rameaux. On s'aide ici, pour incliner le gourmand (au bas du scion incliné) d'un rameau plus faible gardé provisoirement vertical.

Le prolongement du scion de bout de rang est mis en inclinaison, rejeté vers l'intérieur du champ en se servant d'une branche voisine : un peu d'initiative ne nuit pas.

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Figure 78 : DUC DE BORDEAUX à la fin de la 1re année.
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Figure 79 : DUC DE BORDEAUX au début de la 2e année.
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Figure 80 : Résultat de la végétation à la fin de la première année : Les scions se sont prolonges sans bifurcation ; à leur base, départ du gourmand, seconde branche charpentière de l'édifice.

DEUXIÈME ANNÉE

Point n'est besoin d'être grand clerc ès- arboriculture pour prévoir, à l'examen de notre photographie (fig. 80) que, dès le départ de la végétation, à la deuxième année, la sève obéissant à sa tendance naturelle qui est de monter toujours, s'engouffrera dans les rameaux verticaux placés à la base des scions inclinés, pour irriguer désormais plus faiblement, au ralenti, la partie oblique du scion, dont l'œil terminal respecté s'allongera, mais plus lentement que l'an passé : l'ordre des préséances s'est renversé. Pour la même raison, nous verrons certainement jaillir un gourmand à la base du scion si, l'an dernier, celui-ci ne s'était pas garni ou s'était garni trop haut : dans sa presse la sève cherche à s'échapper au plus court. Nous obtiendrons ainsi, simultanément, sans sécateur, ni mutilations, ni perte de sève, le bois destiné à étendre la charpente et le fruit (fig. 81).

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Figure 81 : CALVILLE BLANC - 2e année de végétation. En plus de la fructification, remarquer le départ d'un rameau à la base de la branche inclinée.

Avec une intensité variable selon le climat, l'année, le sol, la variété, partout et toujours cette loi fondamentale de la végétation jouera, assurance sans égale de réussite.

En cette deuxième année de végétation, où l'arbre a déjà pris solidement possession du sol.

LA VIGUEUR FAIT SON APPARITION ;

elle ira augmentant dès que l'affranchissement se sera produit; il s'agit dès lors de lui prévoir des débouchés et de l'orienter vers une production menée de front avec le développement de la charpente grâce aux rameaux verticaux et latéraux qui vont jaillir pins nombreux : ainsi resterons-nous maîtres de la vigueur, autrefois redoutée de nos « classiques » (fig. 85 et 86). Bien mieux cette même vigueur nous permettra de garder, dès cette deuxième année, les fruits qui s'offrent, succulents modérateurs de la sève (fig. 81, 82, 83, 84). En bonne année, si tout va bien, nous pourrons payer ainsi les arbres qui les ont produits, sans compromettre, ni peu ni prou, l'avenir : seul, le bouché-thomas peut oser cela ! (voir cette note)

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Figure 82 : ONTARIO - fructification sur oblique en 2e année de végétation, favorisée de surplus par le gourmand de base, soupape de sûreté.

Dès le départ de la végétation, nous dégagerons les yeux terminaux de tous les rameaux de charpente pour assurer leur allongement sans concurrence (fig. 22, 23 et 24, et et ces pages) : scions gourmands de la base, simples départs de gourmands même.

Toutes les branches sont fécondes ; si, malgré le discrédit qui, pour certains, l'enveloppe, nous avons emprunté à la taille classique le nom de « gourmand » dont nous désignons la plus vigoureuse d'entre elles, la plus intéressante pour bâtir l'ossature de nos arbres, c'est simplement parce qu'il est expressif de sa plantureuse santé.

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Figure 83 : REINE DES REINETTES - 2e année de végétation.
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Figure 84 : CALVILLE BLANC - 2e année de végétation de scions plantés ramifiés. Résultat : La branche à droite est chargée de deux fruits et la petite à gauche, au bas du scion, d'un fruit.

Poussant solitaires, tôt en saison, ils utiliseront davantage de sève et deviendront rapidement vigoureux. « L'ennemi numéro un » n'est plus, comme jadis, le gourmand, mais son concurrent, le bourgeon double ou triple (fig. 18) qui, partageant la sève entre plusieurs canaux, ôte à l'un ce qu'il accorde aux autres ; et les rameaux gourmands que nous voulons garder n'acquerraient plus par la suite la longueur escomptée.

Nous laisserons donc pousser librement les rameaux réservés, jusqu'à ce qu'ils aient atteint 0,80 m à 1,50 m (voir ici), pour les incliner ensuite par étapes (fig. 85), c'est la répétition de ce que nous avons pu faire déjà l'an passé.

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Figure 85 : DOYENNÉ DU COMICE sur franc, avec affranchissement. Fin de la 2 e année de végétation. Nous gardons toutes les ramifications pour donner à la vigueur un débouché utilisable pour la fructification. La vigueur ne nous fait pas peur. COMMENT ON RÉPARE UN OUBLI : On accepte et utilise la végétation comme elle se présente; on laisse à l'un des gourmands de base sa position verticale, et on incline en sens opposés les deux rameaux du sommet ; on attache aux croisements rencontrés.

Amorçons tôt, dès 80 cm, l'inclinaison du poirier (et même dès 60 cm pour Passe-Crassane et William's), au bois assez cassant, aux pousses volontiers rigides, où l'empattement vient plus vite ; si, en fin de saison, elles ne se sont allongées que de 40 à 50 cm, inclinons-les quand même légèrement : l'an prochain, après le départ de la végétation, il serait trop tard, elles nous résisteraient et un décollement serait à craindre.

Les rameaux du pommier restent souples plus longtemps par suite de leur allongement rapide (Belle de Boskoop, R. Canada…) ou de leur port, plus gracile (R. du Mans, R. de Caux, variétés américaines...). Sur certaines variétés pourtant qui prennent vite de l'empattement, il faut intervenir plus tôt (R. Clochard, Reine des Reinettes).

Même technique pour les scions, dont nous pourrons attacher les pousses de prolongement deux à deux au fur et à mesure des possibilités ; en se redressant vers la verticale, elles les ont entraînés à leur suite, aspirés en quelque sorte et relevés en léger cintre, jusqu'à 45 degrés parfois si l'élongation a été vigoureuse ; en abaissant à 30 degrés les prolongements, pour les attacher à leurs croisements, nous ne faisons donc que ramener les scions eux-mêmes à leur position primitive.

Inclinons sans hâte, ni trop tôt, ni surtout trop profondément, les branches qui ont atteint la longuebouché-thomasur voulue, pour ne pas faire démarrer à leur base d'autres rameaux dont nous n'aurions que faire en ce moment et qui pourraient créer le fouillis.

Il s'agit seulement, pour l'instant, d'équilibrer la sève.

Lorsque la pointe du gourmand qui donne la réplique au scion rejoint le niveau de l'œil terminal en voie d'allongement, sa position privilégiée amène le déséquilibre : jailli de la base, position-clé position stratégique sur le cours de la sève, le gourmand, mieux nourri, va tendre à l'accaparer toute, s'emballera, prendra de la vitesse à mesure qu'il dominera davantage l'œil terminal du scion.

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Figure 86 : DUC DE BORDEAUX : Fin de la 2e année de végétation. Là aussi, on attache aux croisements rencontrés : l'union fait la force. Plus que le Doyenné du Comice, cette variété peu vigoureuse aurait mérité d'être greffée sur franc, sans préjudice de l'affranchissement.

C'est le moment d'intervenir : l'arboriculteur dispose d'une vanne très efficace pour contrôler la sève, la répartir et équilibrer ainsi les pousses : l'inclinaison dont la profondeur réglera le débit : il compensera le déséquilibre créé par le point de départ privilégié du gourmand en ramenant, par une inclinaison plus ou moins prononcée, sa pointe au-dessous du niveau de celle du scion : jeu de bascule, tout de souplesse et d'observation, dont il importe de retenir le principe pour pouvoir, dans son application, procéder rapidement et schématiser dans la mesure du temps dont on dispose, en se rappelant pourtant que mieux vaut prévenir le déséquilibre que d'avoir à le guérir.

Favorisons d'abord, en cette deuxième année, les branches obtenues l'an dernier ; n'en acceptons de nouvelles que selon la vigueur de nos arbres.

Mais si nous assistons à un jaillissement en tous sens de nouvelles pousses, heureux signe de vigueur (fig. 85), nous les utiliserons pour étendre la charpente et donner du « ventre » à nos rideaux d'arbres[6] (voir cette note) — car qui dit bouché-thomas dit épaisseur, éliminant seulement celles qui feraient confusion et appliquant aux autres un traitement analogue à celui des gourmands. Il va de soi que nous respecterons toutes les petites productions, brindilles surtout[7] (fig. 103), et que seules seront éclaircies les pousses à bois promises à une vigoureuse élongation : il ne s'agit donc plus, à ce stade de développement, d'ébourgeonnement hâtif, ni même de taille sur empattement faisant tout disparaître à l'entour des pousses retenues pour la charpente, mais d'une opération de renforcement et de distribution de la sève, effectuée seulement quand les tendances des différentes pousses se seront suffisamment affirmées.

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Figure 87 : DOYENNÉ DU COMICE sur franc au départ de la 2e année de végétation.
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Figure 88 : PASSE CRASSANE fin de la 2e année de végétation. Une bonne préparation du terrain, des plants de première qualité, la greffe enterrée, assurent déjà un beau développement à cette variété réputée peu vigoureuse. Les gourmands de base, inclines d'abord avec des crochets (fig. 92), sont maintenant attachés à leurs croisements. Ainsi obtenons-nous, sans poteaux, sans fil de fer, sans armature coûteuse, une forme basse étirée en longueur : le bouché-thomas.
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Figure 89 : Nous acceptons la végétation telle qu'elle se présente…

Lorsque les rameaux latéraux conservés auront atteint un développement suffisant, nous les inclinerons parallèlement aux branches déjà en place, dans le même sens ou à rebours, au mieux des facilités d'attache avec les branches voisines, de leur souplesse et de leur direction première, en réservant entre elles un écartement d'au moins 12 à 15 centimètres pour permettre à l'air et à la lumière d'inonder le centre des arbres ; les productions fruitières directement accrochées sur le canal de la sève, ramassées et remarquablement constituées (fig. 10, 47 et 48), permettent en effet de resserrer, plus que dans les formes classiques, le faisceau des branches productives, sans risque de les voir s'étioler : les pousses chétives n'ont pas droit de cité dans le bouché-thomas.

Si nous remarquions que, pour une raison ou pour une autre, (manque de vigueur, saison précédente peu poussante par suite de sécheresse, etc...) l'œil terminal d'un scion s'était transformé en bouton à fruits, il faudrait, dès la floraison, supprimer toutes les fleurs en les saisissant délicatement entre le pouce et l'index, de façon à respecter les jeunes feuilles : car, si nous laissions le fruit s'accrocher, il ferai ployer l'extrémité du scion et le bourgeon terminal, dont l'allongement se trouverait brutalement freiné, se redresserai plus difficilement vers la verticale pour jouer son rôle de régulateur de sève. Il est vraisemblable qu'après cette ablation, deux ou trois bourgeons à bois émergeront en concurrence : n'en gardons qu'un, pour prolonger solitaire le scion.

Nous ferons bien, si un scion, planté faible l'an dernier, a boudé, de ne pas compter sur son prolongement pour assurer la charpente, mais d'établir celle-ci à partir d'un vigoureux gourmand, dont nous favoriserons la sortie à sa base en l'inclinant plus profondément, pour le mettre à fruits sur toute sa longueur.

D'autres cas analogues peuvent se présenter : un rynchite facétieux ou un lièvre gourmand son, venus faire la nique à bouché-thomas en décapitant proprement le bourgeon terminal encore tendre ou bien un cèphe l'aura flétri : qu'à cela ne tienne ! rétablissons sans tarder la prééminence d'un œil terminal en revenant en arrière sur un œil latéral bien constitue qui héritera des prérogatives et de son traitement ( ici , cas 3.) ; ou encore en surveillant le départ du bourgeon anticipé qui va naître à la suite de ce pincement malencontreux. Ici comme toujours, un principe absolu : éviter toute bifurcation sur les bourgeons en voie d'allongement.

Quels que soient le rameau ou la branche inclinés, œil terminal doit garder sa suprématie sur les yeux axillaires, pouvoir se redresser en s'allongeant, et jouer ainsi son rôle de tire-sève et de soupape de sûreté.

En cours de végétation, les années poussantes surtout, où l'accroissement des branches en diamètre est rapide, veillons a desserrer en temps voulu les attaches qui menaceraient de provoquer des strangulations[8].

Si le temps nous avait manqué pour intervenir en cours de végétation, nous inclinerions durant l'hiver. Avec la vigueur croissante des arbres, le nombre des rameaux a incliner a augmenté : nous assoirons tout d'abord solidement la charpente en inclinant à 30 degrés, à la rencontre l'un de l'autre pour les attacher a leurs croisements, les prolongements des scions encore ballants, puis les gourmands de deux ans de végétation qui, laissés verticaux ou libres l'an dernier, à la base de nos scions, après amorce de leur inclinaison, ont atteint maintenant la longueur voulue (fig. 88 à 93). Nous inclinerons ensuite dans le sens du rang, plus ou moins selon leur vigueur, les gourmands d'un an de végétation suffisamment développés.

Nous obliquerons enfin, parallèlement aux branches principales mais sans plaquer, les rameaux latéraux émergents hors du rang, afin de donner du «ventre» à nos arbres.

Cette mise à l'oblique des rameaux destinés à la charpente se fera, en principe, en sens opposé à la direction du scion ou du gourmand de base où ils prennent naissance. Toutefois, si leur trop grande rigidité s'y refusait, courbons-les dans le même sens, ainsi tout éclatement toute cassure, seront évités.

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Figure 90 : INCLINER N'EST PAS ARQUER : FAITES CECI
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Figure 91 : ET NON CELA

Reportez-vous aux schémas ici et pour bien comprendre pourquoi il faut incliner les branches et non les arquer.

Relisez de même les paragraphes ici et : ils sont d'une importance capitale.

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Figure 92 : LA MISE EN PLACE DU VERGER EST ACHEVÉE : Poiriers à la fin de la 2e année de végétation.
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Figure 93 : CALVILLE BLANC : Début de la 3e année de végétation. Attache des branches à leur point de croisement : la Haie se construit sans armature coûteuse entre les gourmands sera bientôt comblé par les rameaux qui poussent au bas du gourmand.
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Figure 94 : CALVILLE au départ de végétation de la 3e année.
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Figure 95 : CALVILLE : Début de la 3e année de végétation.

TROISIÈME ANNÉE

L'accroissement de vigueur provoqué par l'affranchissement qui peut commencer à jouer, nous invite, cette année, à nous montrer particulièrement attentifs à supprimer, dès leur départ, les bourgeons susceptibles de concurrencer les yeux terminaux de tous les rameaux conservés, qui doivent se prolonger solitaires.

Quelques semaines plus tard, nous supprimerons aussi, à la base des rameaux gourmands précédemment inclinés, les bourgeons (non pas les dards et les brindilles, comme on l'a déjà bien précisé) qui pourraient créer le fouillis, pour n'en garder que quelques-uns (futurs gourmands de deuxième échelon) suffisamment espacés, qui vont croître libres et vigoureux, grâce au renforcement, que leur apporte l'élimination des concurrents éventuels.

Ces suppressions, rapides et faciles, pourront se faire au cours de nos tournées d'inspection sanitaire; elles seront en général plus rares sur pommiers que sur poiriers, car leurs yeux terminaux se dégagent d'eux-mêmes plus vite (R. du Canada ; mais Belle de Boskoop est à surveiller de plus près).

Il va de soi que nous conserverons tous les fruits, sans éclaircissage, pour tempérer la grande vigueur de cette troisième année : dans certains vergers, menés en bouché-thomas , on a récolté, sur certaines variétés généreuses, 4 kilos de fruits de premier choix, qui ont permis de réaliser un gain déjà appréciable.

Pour le reste, on appliquera les principes déjà exposés, avec souplesse et à-propos comme avec esprit de décision, selon les cas à résoudre, pour assurer le développement sans à-coups d'une charpente productive et aérée.

N'oublions pas, en cours d'année, de desserrer les attaches, chaque fois que c'est nécessaire, et d'enlever les tirants et les crochets inutiles.

De la chute des feuilles au réveil de la végétation l'année suivante, nous retrouverons, lorsque le temps s'y prêtera, le travail auquel l'hiver dernier nous a entraînés.

Si, pour une raison quelconque, nous n'avions pu faire, au départ de la végétation ou au cours de la belle saison, les ébourgeonnements, indispensables pour économiser la sève et limiter les blessures, portes ouvertes aux maladies, nous éliminerons d'abord, par une taille sur empattement au sécateur (fig. 73-74), bifurcations[9] et rameaux faisant confusion. Ce dégagement, effectué, nous y verrons plus clair pour amener à l'oblique les prolongements verticaux et les branches laissées libres l'année précédente à titre de renforcement ; nous donnerons enfin de l'ampleur au ventre de nos haies (voir cette note), en dirigeant vers les endroits dégarnis les rameaux qui émergent du rang. Nous augmenterons ainsi aisément, à proportion de la vigueur, le nombre et la longueur des branches et, par suite, leur développement linéaire à l'hectare, qui nous vaudra, l'an prochain, un tonnage de récolte jamais atteint si rapidement jusqu'à ce jour[10].

Cuve.
Figure 96 : AVANT : POIRIER laissé à peu près à l'abandon durant deux ans... ... un éclaircissage s'impose pour favoriser ensoleillement et aération.
Cuve.
Figure 97 : APRÈS : On a supprimé les branches faisant fouillis et procédé à la « mise en plis ». La vigueur étant modérée, on a remis à l'an prochain l'utilisation des rameaux latéraux qui doivent étoffer le ventre de la haie.
Cuve.
Figure 98 : AVANT : POMMIER laissé à peu près à l'abandon après sa plantation… … le fouillis s'est installé ; un élagage est indispensable.
Cuve.
Figure 99 : APRÈS : On a supprimé sur empattement toutes les bifurcations aux extrémités des branches et celles jugées en surnombre : les branches vigoureuses ont été inclinées attachées aux croisements ; les rameaux latéraux utilisés donneront du ventre à la haie.

QUATRIÈME ANNÉE ET SUIVANTES

La quatrième année, l'affranchissement commence à jouer à plein, rendant la végétation fougueuse : certaines années humides où, de surcroît, les fruits n'ont pas noué par suite d'une intempérie, les gourmands peuvent bondir jusqu'à 2 mètres et 2,50 m ; passez-moi cette image : on les entend pousser ! Ne perdons pas la tête, inclinons-les; ne nous laissons pas gagner de vitesse, suivons le rythme de la végétation pour étoffer la charpente, mais sans la surcharger : ni trop tôt, ni trop tard.

Avec le bouché-thomas tout se ramène à une judicieuse utilisation d'une vigueur croissante : inclinaisons faites aux moments opportuns, canalisation et émiettement de la sève en des sujets simples au long desquels elle s'étale uniformément, entre l'œil terminal et le gourmand de base, qui lui servent de régulateurs et, à l'occasion, de soupapes de sûreté.

L'évolution de la vigueur retiendra désormais l'attention de l'arboriculteur, stimulera son intérêt, aiguisera son «sens de l'arbre».

Au temps de la jeunesse et de sa végétation ardente, l'inclinaison des rameaux avait eu pour double objet de mener de front la formation rapide d'une charpente développée et aérée et sa mise à fruits qui en doit talonner l'allongement : on l'avait donc pratiquée progressive puis profonde, jusqu'à 30 degrés environ.

Avec l'âge, le coup de feu de l'affranchissement passé, l'arbre s'est assagi : les pousses annuelles s'emboîtent en 7e, 8e, 9e échelon… et, à mesure que s'étend le parcours de la sève qui les nourrit calme sa fougue, leur longueur diminue, leur mise à fruits se fait en quelque sorte automatique, spontanée, indépendante de leur inclinaison qu'on peut accentuer encore jusqu'à voisiner au-dessus de l'horizontale sans risquer de provoquer des départs à bois intempestifs, la tendance des yeux terminaux à bifurquer s'atténue avec la baisse de la «tension artérielle» de la sève.

Un nouvel équilibre s'instaure : celui de l'âge adulte.

L'arboriculteur peut maintenant relâcher de son attention et, des points qui la sollicitaient jusque-là (inclinaison, ébourgeonnement), la reporter avec une liberté d'esprit accrue, sur les interventions vraiment payantes de ce nouveau stade ; l'inclinaison des rameaux sera moins stricte, elle aura désormais pour seul but non plus la mise à fruits mais le soutien des branches les unes sur les autres. De ci de là, quelques rares bifurcations partiront encore dans le haut, qu'on se passera moins de « sabrer », car elles pourront alors développer la charpente sans nuire à son aération; des gourmands qui reperceront plus bas, on réservera ceux qui, émergeant franchement hors du rang, étofferont la charpente et lui feront prendre du ventre, ceux du centre, vraisemblablement mal aoûtés et cause de fouillis, étant supprimés au plus tôt sur empattement : il ne faut pas surcharger la charpente, mais savoir, à l'occasion, la soulager pour maintenir parfait l'équilibre végétation/fructification.

Nous voici désormais en mesure de dégager dans sa plénitude la notion d'équilibre, du bouché-thomas.

Il réside dans l'harmonieuse hiérarchisation des deux fonctions vitales de l'arbre : développement, reproduction.

Dans le jeune âge, phase du développement, l'élongation de la charpente a le pas.

Plus tard, l'importance relative des fonctions se renverse, la fructification l'emporte.

Or dans l'un et l'autre stade, du fait du dégagement d'un œil terminal jalousement conservé, la sève se distribue sans à-coups au long des branches inclinées, portant le gros de son effort vers l'élongation solitaire du bourgeon ; les yeux latéraux ne partent pas à bois, ou si rarement qu'on peut alors considérer cette dérogation à la règle comme bienvenue, puisqu'elle permet d'étendre la charpente ; normalement, ils se couronnent, et la fructification s'y installe, échelonnée et très stable. Et cette stabilité s'affermit à mesure que s'allonge le parcours de la sève, de plus en plus puissamment attirée vers l'extrémité du bourgeon qui culmine : même si la végétation est fougueuse, aucune mauvaise surprise n'est à redouter.

Cuve.
Figure 100 : REINETTE CLOCHARD - Début de la 4e année de végétation.
Cuve.
Figure 101 : REINETTE DU CANADA - Début de la 4e année de végétation.

Mais, (fait digne de remarque) ce même allongement qui, en l'attirant vers la pointe des bourgeons, a d'abord émietté la sève, finit après bien des années, par en ralentir le cours : une légère tendance au re-percement se manifeste alors vers la base de la charpente ; de nouveaux rameaux y naissent qui s'allongent en se couvrant de boutons, les productions fruitières même s'y accrochent directement sans partir à bois : la charpente reste fournie et productive sur toute sa longueur, sans se dégarnir du bas et gardant toute la végétation à portée de la main.

Cette nouvelle tendance s'accentuera à mesure que s'amenuise l'allongement annuel des bourgeons du sommet.

L'arboriculteur sera donc attentif à ce balancement, ce lent renversement des tendances, intervenir au moment le plus favorable, après 20 ou 25 ans peut-être de production massive par un rajeunissement que l'arbre semble alors solliciter (voir ce chapitre).

N'attendons pas pour intervenir que les feuilles deviennent chétives, sans ampleur, rougissent prématurément, indices certains qu'est rompu l'équilibre entre fruit et végétation : attention ! le glas de notre verger sonnerait alors !

Cuve.
Figure 102 : POIRIER : BEURRÉ GIFFARD - Début de la 4e.
Cuve.
Figure 103 : POIRIER : DOYENNÉ DU COMICE - Début de la 4e année de végétation. Les rejets verticaux vont servir à étoffer le ventre de no. arbres.

Nous devons rétablir sans retard cet équilibre, cette belle harmonie entre végétation et production par un sérieux apport d'engrais, que la vigueur de l'affranchissement avait pu nous inciter à différer. Il faut en effet, pour nourrir les fruits sans épuiser les réserves, de nombreuses et larges feuilles assimilant à plein, grâce auxquelles nous évitons, dans une large mesure, l'alternance des récoltes, due à un désordre physiologique beaucoup plus qu'à une manifestation naturelle[11].

Si nous avions trop demandé à nos arbres, sans leur apporter les restitutions indispensables[12], il faudrait nous décider à un élagage plus ou moins sévère, accompagné d'une abondante fumure. Il est certes moins onéreux d'apporter en temps voulu de judicieux engrais, pour maintenir la végétation, que d'en être réduit à supprimer des branches : mieux vaut prévenir que guérir.

Car les carences se manifestent extérieurement bien après leur apparition néfaste et, lorsqu'il s'agit, non plus d'une faim d'azote, facile à satisfaire, mais d'un épuisement des réserves en potasse, acide phosphorique ou oligo-éléments, c'est par années qu'il faut souvent compter pour rétablir l'équilibre ; encore n'est-on pas certain d'y arriver si l'on s'y prend trop tard.

Cet affaiblissement se traduit surtout par la disparition de ces jeunes gourmands, thermomètres de la vigueur, qui, jusqu'alors, se faisaient jour çà et là dans l'intérieur de l'arbre[13], vers le premier tiers de sa hauteur surtout[14]. En effet, si les rameaux n'émettaient que de faibles prolongements, de moins de 10 centimètres, couverts de boutons, il n'y faudrait voir, tant qu'œuvrent de jeunes gourmands, que l'effet normal de l'inclinaison.

C'EST L'ENSEMBLE DE L'ARBRE QU'IL FAUT TOUJOURS CONSIDÉRER.

LE VERGER QUI PAIE...

Le fruit, né de la fleur, est comme elle,
plus qu'elle, un chef-d'œuvre de la Nature.
La fleur a la beauté, elle a le parfum.
Le fruit les possède l'un et l'autre,
et il a en plus la saveur.
La fleur apporte « la douce espérance »,
Le fruit la réalise et l'achève... »
Abbé POIRIER.
Cuve.
Figure 104 : POMMIERS : REINETTE DU CANADA - 3e année.
Cuve.
Figure 105 : POMMIERS : REINETTE CLOCHARD - 3e année.
Cuve.
Figure 106 : POIRIERS : DOYENNÉ DU COMICE - 3e année.
creation
Cuve.
Figure 107 : POIRIER : BEURRÉ GIFFARD - 3e année.
Cuve.
Figure 108 : POIRIER : WILLIAM'S - 3e année.
Cuve.
Figure 109 : POIRIER : WILLIAM'S - 4e année.
Cuve.
Figure 110 : POMMIERS : CALVILLE BLANC - 4e année.
Cuve.
Figure 111 : POMMIERS : CALVILLE BLANC - 4e année.
Cuve.
Figure 112 : POMMIERS : REINETTE CLOCHARD - 4e année.
Cuve.
Figure 113 : POMMIERS : REINETTE DU MANS - 4e année.
Cuve.
Figure 114 : POIRIERS : DOYENNÉ DU COMICE - 5e année de fructification.
Cuve.
Figure 115 : POMMIERS : RED DELICIOUS - 5e année de fructification.
Cuve.
Figure 116 : POIRIERS : DOYENNÉ DU COMICE - 7e année.
Cuve.
Figure 117 : POMMIERS : RED DELICIOUS - 7e année.
Cuve.
Figure 118 : POIRIER : BEURRÉ HARDY - 7e année.
bouché-thomas
Cuve.
Figure 119 : POMMIERS : REINETTE DU MANS - 7e année.
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Figure 120 : POMMIERS : REINETTE CLOCHARD - 7e année.
Cuve.
Figure 121 : POMMIERS : REINETTE CLOCHARD - 7e année.
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Figure 117 : POIRIER : BEURRÉ GIFFARD - 8e année.

…Production record dans un temps record…


[1] N'y a-t-il pas quelque illogisme, pour ne pas dire plus, à promettre, sur de luxueux catalogues, des fruits l'année qui suit la plantation tout en recommandant par ailleurs d'établir le verger sur des porte-greffe affaiblissants, qui exigent un plus grand nombre de pieds à l'hectare ? En termes de métier, cela s'appelle « arrosser un verger » ; car, ici, il faut choisir ou la charpente ou le fruit ; un arbre affaibli ne peut mener les deux de front sans compromettre sa santé.

[2] Nous pourrions également supprimer en deux étapes l'une des pousses condamnées a disparaître, mesure de prudence destinée à assurer un remplaçant immédiat en cas de décollement du gourmand voisin : on pincerait donc la pouce à 5 cm, pour revenir sur ses stipulaire dès que la base du gourmand à conserver sera suffisamment affermie.

[3] Il en faut environ 1 200 à 1 500 mètres à l'hectare.

[4] Tentation du débutant, pressé d'aller vite.

[5] Nous en expédions chaque année des milliers, nos châtaigneraies d'Anjou en fournissant toujours d'excellents.

[6] C'est cette ampleur, précisément, nullement préjudiciable à la parfaite aération de nos haies, qui permettra aux arbres menés en bouché-thomas à l'encontre des formes plates, la gestation de fruits nombreux.

[7] La brindille est un organe de premier choix pour la fructification, tout particulièrement sur les arbres vigoureux. néanmoins pour quelques rares variétés à végétation spécialement compacte, comme la Passe-Crassane, il sera bon d'éliminer par une taille sur empattement une coursonne (le mot, pour être « classique », ne nous fait pas peur) sur deux, de façon à aérer largement les productions maintenues (Voir cette note).

[8] Et si, malgré notre surveillance, notre fil-attache, au diamètre réduit, est entré dans l'écorce, la vigueur a tôt fait de déborder par-dessus le fil (voir le cas sur la branche du milieu de la photo de jaquette de couverture) ; la végétation n'en souffre nullement, il suffit d'attendre un recouvrement total avant d'incliner, avec précaution toutefois, cette branche.

[9] Pourtant, si les fourches sont belles, bien venues et bien placées pour étoffer adroitement la charpente, gardon®sans hésiter (fig. 85). Si elles font confusion, dégageons-les en supprimant de préférence, sur empattement, le rameau qui pointe vers l'intérieur.

[10] C'est ce que nous nommerons « la politique du logement » du bouché-thomas.

[11] Rebour : La taille des arbres fruitiers. Casablanca 1947, p. 34.

[12] Remarquons bien qu'il s'agit de restituer au sol ce qu'en ont exporté uniquement les seules récoltes, à l'exclusion de la taille, inconnue du « Bouche-Thomas »; c'est ce que nous nous sommes efforcé de mettre en lumière lors de l'assemblée générale de l'Association de nos Amis, en septembre 1952 :
« Il n'est pas superflu d'insister un peu sur cette charge formidable de fruits que supportent les arbres menés en bouché-thomas : 40 à 60 tonnes de pommes à l'hectare à partir de la 6e année, qui mettraient « à plat » des arbres régis selon d'autres méthodes, alors que les nôtres les supportent allègrement (car — et ce n'est pas à imiter — ce verger qui donne de telles récoltes n'a reçu encore aucun engrais depuis sa plantation !). L'explication de ce phénomène est simple; elle se trouve dans l'origine de la fatigue des arbres : fatigue de l'arbre et usure du terrain sont deux aspects d'un même problème de nutrition, donc de restitution en temps voulu des éléments exportés ; ce qui compte , en définitive, n'est pas la forme sous laquelle les principes nutritifs sont exportés, mais leur quantité calculée en poids de matière sèche : que cet épuisement du sol se fasse par les fruits, légers somme toute, ou par les bois de taille, plus consistants et bien plus lourds, peu importe !
« Faisons ce petit calcul sur la base du poids de 40 tonnes de pommes cité plus haut : nous savons (Ulrich : La vie du fruit, p. 149) que la pomme contient 84 % d'eau; le reste étant composé de glucides (14 %) et d'autres éléments mineurs. L'exportation de 40 tonnes de pommes répond donc à un prélèvement de 6 400 kgs de matières sèches. Pour un verger mené en bouché-thomas, c'est tout, puisqu'il n'y a pas de taille, ou si peu.
« Force nous est cependant, si nous examinons par exemple un verger mené en arcure, de tenir compte des exportations par bois de taille : on sait à quel point l'arcure favorise la naissance de vigoureuses têtes de saule qu'il faut sans cesse rabattre et souvent sur stipulaires, pour faire naître des dards ; à combien de stères à l'hectare pourrions-nous honnêtement chiffrer ces abatis ?
« Nous savons d'autre part qu'un stère de bois de pommier pèse 750 kgs : supposons que cela nous fasse ici en calculant largement, 500 kgs de matière sèche et comparons, nous avons là, rien qu'en bois de taille, une exportation que nous devons, en plus de celle de la production, restituer au sol, d'où fatigue supplémentaire des arbres.
« N'allons donc pas dire que la méthode bouché-thomas fatigue les arbres. N'est-il au contraire pas clair qu'il les ménage étonnamment ! »
(Revue Internationale : Le Bouche-Thomas — 1953, N° 1, p. 16)

[13] Ne nous croyons pas obligés de les garder, s'ils sont mal aoûtés ou risquent de faire confusion ; mais alors nous les élaguerons radicalement.

[14] Car, loin de se dégarnir à la base, c'est en prenant de l'âge que le verger en bouché-thomas s'y étoffe le mieux.