Avant-Propos

« Il y a trois cents ans, vers le milieu du Grand Siècle, dans la région parisienne, à cinq lieues l'un de l'autre, deux hommes cultivaient les arbres fruitiers : l'un vivait en grand seigneur, l'autre en simple praticien ; l'un était payé royalement, quoi qu'il advint à ses arbres ; l'autre ne pouvait vivre que s'ils lui donnaient d'abondantes récoltes ; l'un a écrit copieusement et fort bien, (n'était-il pas avocat à Poitiers avant d'être jardinier à Versailles) l'autre n'a pas laissé une ligne ; l'un abusait de la serpette ; l'autre n'en usait point, ou si peu…

Pour toutes ces raisons, pour d'autres aussi sans doute, le virtuose de la serpette (remplacée depuis par le sécateur-guillotine, instrument de décapitation expéditif et féroce) eut sa statue érigée dans le potager de Versailles. Pour l'autre, il n'en a pas été, il n'en sera peut- être jamais question : et pourtant, aujourd'hui, nous pouvons, que dis-je ? nous devrions lui en ériger une dans nos cœurs, celle de la reconnaissance : car, à la confusion du jardinier de Versailles, l'humble et simple praticien de Montreuil venait souvent offrir au Roi Louis XIV, pour ses somptueuses soirées, des pêches superbes, à pleins paniers.

Pourquoi La Quintinie, jardinier du Roi-Soleil, était-il incapable d'en produire en quantités suffisantes sur ses arbres martyrisés? Parce qu'il recherchait avant tout la belle harmonie des branches, la belle figure de l'arbre, écrivait-il dans son instruction, tandis que Girardot de Montreuil cherchait en premier lieu le fruit. Lequel avait raison?

La Quintinie (et tant d'autres !… des milliers à sa suite) pour obtenir de belles formes élégantes et symétriques, dirigeait ses arbres au mépris de la nature, tandis que Girardot la respectait de son mieux, avec sa petite palmette à la diable.

Eh bien ! la petite palmette à la diable du praticien de Montreuil est l'aïeule de la Haie-fruitière du praticien d'Angers[1]».

Ainsi débutait la conférence que nous faisions, devant de nombreux professionnels, à Orléans, le 26 février 1949. Il était bon de le rappeler dès les premières pages de ce livre, pour la leçon en doivent tirer les générations à venir.


[1] Le nom de Haie-Fruitière que nous avions adopté au départ, ayant depuis été plagié et prêté à trop de confusion, nous avons décidé d'y renoncer comme à un monopole et d'appeler notre Méthode, tout simplement, de son nom d'origine : bouché-thomas.