LE RAJEUNISSEMENT DU VERGER EN bouché-thomas

Les arboriculteurs sont rares qui se décident, sans serrement de cœur, à offrir à leurs arbres un regain de jeunesse : d'année en année ils remettent à plus tard... Et pour cause : ils hésitent à jeter à bas une charpente qu'ils ont formée avec amour et mettraient plusieurs années à reconstruire, et à se priver ainsi du bénéfice de quelques récoltes, fussent-elles dérisoires. Ils pratiquent le proverbe : « Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras » ; mais ils ne comprennent pas qu'ils « lâchent la proie pour l'ombre » !

N'entendent-ils pas la supplique de leurs arbres vieillissants : fuseaux, gobelets, buissons, palmettes, tiges, que sais-je ? À leur base, au travers des vieilles écorces rugueuses, abri des insectes et refuge des maladies, repercent sans se lasser de vigoureux rameaux : « Toi qui, si souvent, coupes sans raison, pour une fois ta coupe me serait salutaire ! Vois ma sève : elle éprouve bien de la difficulté à se frayer un passage dans ces branches vieillies à cellules sclérosées ; elle peine à parvenir jusqu'à leurs extrémités. Débarrasse-moi de cette carcasse usée ! Prends ta scie et sectionne, là, au-dessus de ces jeunes rameaux vigoureux : j'en serai rénové et à nouveau je te donnerai d'abondantes récoltes, de beaux fruits à foison ! »

La Méthode bouché-thomas a retenu cet enseignement; elle seule pouvait se le permettre, qui ne connaît ni tailles de formation, ni tailles d'équilibre qui retardent une fructification, elle-même soumise à la taille !

Produisons donc durant vingt, vingt-cinq ans, sur les mêmes branches; puis, pour prévenir un fléchissement de la vigueur, qui se traduirait immanquablement par une diminution des fruits de qualité (les seuls qui, bientôt, seront vendables) rajeunissons[1].

Pour éviter des années creuses, établissons un roulement qui étalera l'amenuisement momentané des récoltes; profitons si possible, pour ce faire, d'années où les intempéries, grêle, gelée, ou autres, ont compromis l'avenir immédiat, où une récolte exceptionnelle a fatigué nos arbres au point de faire redouter une première alternance. Dès la chute des feuilles, prenons une scie, sectionnons nos arbres à 30 centimètres du sol, pour n'en laisser qu'un moignon dont la coupe sera orientée vers le nord pour éviter son dessèchement; avec une serpette bien affûtée rafraîchissons la plaie jusqu'au bois sain, non déchiqueté par les dents de la scie ; puis badigeonnons-la avec du goudron de Norvège ou tel autre produit protecteur : après ce pansement, la vigueur de l'affranchissement aidant, la cicatrisation sera rapide.

Confions aussi, à cette occasion, à un laboratoire sérieux, le soin de faire une nouvelle analyse chimique du sol et du sous-sol : elle nous indiquera s'il y a déséquilibre entre les substances fertilisantes indispensables : les arbres n'ont pu, en effet, produire intensément durant de longues années sans en épuiser certains éléments. Nous apporterons à notre verger les fumures jugées nécessaires par le chimiste, faisant marcher de pair rajeunissement des arbres et rajeunissement du sol (voir cette note).

Nous accorderons ainsi à l'un et à l'autre le congé payé qu'ils ont bien mérité et dont ils seront nous remercier bientôt par de splendides récoltes.

Car, de ces troncs raccourcis jailliront, au printemps prochain, de nombreux bougeons dont nous conserverons, selon la vigueur de la végétation, les 4 à 6 plus beaux, qui pousseront librement à la verticale : nous les protégerons contre les coups de vent qui pourraient les décoller en les attachant, au fur et a mesure de leur allongement, à un tuteur enfoncé au ras du tronc.

L'hiver suivant, nous les inclinerons en éventail dans le sens du rang les plus vigoureux le plus bas, les plus faibles, qui n'auront pas atteint 60 centimètres, restant verticaux. Pour éviter d'éclater ces branches à leur base, nous les dirigerons à l'opposé du côté du tronc où elles sont nées et les attacherons deux à deux à leur point de croisement, pour les maintenir inclinées ou bien nous utiliserons de petits piquets crochus. Nous pourrions encore en obliquer deux ou trois parallèlement à 15 centimètres environ l'une de l'antre, pour donner du ventre à nos arbres tout en assurant l'aération indispensable.

En bref, on s'inspirera, pour rebâtir la charpente, des principes qui ont régi son premier établissement.

LE RAJEUNISSEMENT DES FORMES CLASSIQUES PAR LE bouché-thomas

Les arbres taillés à la classique peuvent bénéficier, eux aussi, des facilités de conduite et de fructification propres à la méthode bouché-thomas, pourvu simplement qu'ils aient encore une bonne vigueur, reconnaissable aux jeunes rameaux qui jaillissent de-ci de-là : leur système radiculaire bien développé supplée alors l'affranchissement. Sinon, autant vaut les laisser mourir en paix.

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Figure 128 : RAJEUNISSEMENT des fuseaux classiques en bouché-thomas : AVANT.
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Figure 129 : RAJEUNISSEMENT des fuseaux classiques en bouché-thomas : PENDANT. Deux ans de végétation (Il est préférable d'incliner dès la 1re année).

S'il s'agit d'arbres plantés aux distances prévues par notre Méthode, il suffira de les traiter comme nous l'avons exposé au chapitre précédent.

Mais s'il s'agit d'arbres isolés, sans doute faudra-t-il prévoir un tuteur à droite, un autre à gauche, pour le soutien des branches inclinées ; ou bien, s'ils sont disposés en lignes régulières, mais plus écartés sur le rang que prévu par notre Méthode, anciens fuseaux (fig. 128, 129, 130-131), ou gobelets, nous tendrons, à 0,60 m du sol, sur des poteaux distancés de 4 ou 5 mètres, un fil de fer, tout comme on le faisait jadis pour les cordons horizontaux. Dès la chute des feuilles, nous rabattrons ces arbres à 30 centimètres du sol et opérerons comme il a été indiqué pour le rajeunissement des arbres conduits en bouché-thomas. Les rameaux obtenus seront, l'hiver suivant, palissés sur le fil de fer, et nous leur appliquerons les principes du dégagement de l'œil terminal et de l'obtention des gourmands, déjà connus.

Voulons-nous réformer des palmettes, (u simples ou doubles, palmettes Verrier, etc...) nous les rabattrons comme les fuseaux à 30 cm (fig. 132 et 139) et utiliserons l'armature existante pour maintenir inclinés nos rameaux gourmands (fig. 132, 133, 134).

Enfin, s'il s'agit d'une rangée d'anciens cordons, et surtout de cordons simples, à un bras, nous nous contenterons de rabattre les plus grosses coursonnes, et laisserons pousser, sur celles qui auront été conservées, quelques longs rameaux, que nous inclinerons par la suite (fig. 135 à 142).

De nombreux producteurs, séduits par la simplicité et la rentabilité de notre Méthode, nous ont maintes fois donné l'occasion, et elle se représentera certainement encore souvent, de réformer en bouché-thomas des arbres conduits jusque là en « palmettes à longs bois arqués » dénommées depuis peu, devant l'excellence des résultats, « Haie-fruitière équilibrée de production durable ».

La marche à suivre, pour cette transformation, varie suivant l'âge de la plantation. Elle comportera presque toujours l'arrachage d'un rang sur deux, pour assurer aux arbres conservés un minimum d'espace vital et permettre l'utilisation des rameaux latéraux qui leur « donnera du ventre » : il faut en effet, pour une production satisfaisante, une bonne aération et un ensoleillement parfait. Souvent, pour la même raison, devrons-nous supprimer encore un arbre sur deux dans le rang.

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Figure 130 : Gourmands d'un an «mis en plis».
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Figure 131 : APRÈS L'INCLINAISON : 5e année de végétation.
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Figure 132 : RAJEUNISSEMENT D'UN CONTRE-ESPALIER EN U DOUBLE DE POIRIER PASSE-CRASSANE : Fin de la 2e année de végétation.

S'il s'agit d'une plantation récente, 3 ou 4 ans au plus, nous arracherons tout de suite un rang sur deux et, sur la ligne conservée et buttée, nous corrigerons le premier étage et l'amorce du second, en nous inspirant de ce qui a été indiqué pour l'utilisation des cordons horizontaux.

Mais, si nous nous trouvons en face d'un verger plus ancien, nous procéderons différemment : après buttage, nous recéperons, à 30 cm du sol, un rang sur deux, pour les rajeunir tout comme s'il s'agissait de bouché-thomas normal. Les lignes d'arcure provisoirement conservées seront, après éclaircissage sévère, abandonnées pendant 3 ou 4 ans encore à leur végétation naturelle, sans taille aucune des prolongements et des rameaux latéraux, pour les faire produire rapidement. Pendant ce temps, les lignes intermédiaires, recépées, s'établiront en bouché-thomas et commenceront à donner de belles récoltes; la soudure assurée, nous pourrons alors arracher sans regret les rangées en arcure, qui ne pourraient désormais que décliner, en gênant de surcroît le développement des lignes définitives en bouché-thomas.

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Figure 133 : PASSE-CRASSANE rajeuni en bouché-thomas : FLORAISON au début de la 3e année.
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Figure 134 : PASSE-CRASSANE rajeuni en bouché-thomas : PRODUCTION fin de la 3e année de végétation.
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Figure 135 : TRANSFORMATION d'un cordon classique en bouché-thomas : REINETTE DE CAUX : 2e année de formation.
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Figure 136 : TRANSFORMATION d'un cordon classique en bouché-thomas : REINE DES REINETTES : 3e année de formation.
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Figure 137 : TRANSFORMATION d'un cordon classique en bouché-thomas : REINETTE DU CANADA : 3e année de formation.
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Figure 138 : VUE D'ENSEMBLE D'UNE TRANSFORMATION : Centre de formation agricole et horticole. POUILLÉ-LES-PONTS-DE-CÉ (M.-et-L.).
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Figure 139 : Au premier plan : RECEPAGE d'un contre-espalier de poiriers . Au second plan : CORDONS horizontaux classiques REFORMÉS.
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Figure 140 : REINETTE DU CANADA : RAJEUNISSEMENT d'un candélabre à 8 branches : Production à la 4e année de végétation : 98 kgs.
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Figure 141 : CORDONS HORIZONTAUX : soumis pendant quelque temps à l'arcure, puis repris en bouché-thomas.
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Figure 142 : CORDONS HORIZONTAUX : soumis pendant quelque temps à l'arcure, puis repris en bouché-thomas : 3e année de réforme.

[1] Le rajeunissement, en nous permettant de produire à nouveau sur du bois sain et vigoureux, à écorce lisse, nous fera faire, durant plusieurs années, l'économie des traitements d'hiver.