Conclusion

SOUPLESSE, SÉCURITÉ ET ÉCONOMIE DE LA MÉTHODE bouché-thomas

Pour apprécier équitablement une méthode, trois examens s'imposent : celui de ses principes et de ses résultats, celui des objections qu'elle a pu soulever, celui des systèmes qu'on pourrait être tenté de lui préférer : de ces trois épreuves, le bouché-thomas sort victorieux.

Premier principe

Ses trois principes fondamentaux sont absolument incontestables[1] : L'affranchissement, correctement pratiqué, apporte bien à l'arbre le surcroît de vigueur nécessaire, au moment précis où le besoin s en fait sentir : il constitue en quelque sorte la réserve que l'arbre, averti par un secret instinct de conservation, jette sur le champ de bataille de la formation de sa charpente et de sa production, à laquelle il peut faire appel au moment décisif, lorsque le porte-greffe de départ, au bout de son effort, éprouve le besoin d'une relève. C'est une sorte d'assurance, contractée par l'arboriculteur, qui joue automatiquement dès que pourrait s'amorcer un fléchissement de végétation ou de production, et qui le décharge de la surveillance individuelle et minutieuse de ses arbres, pour remédier à leurs défaillances, puisque la compensation vient, immédiate et spontanée, rétablir l'équilibre menacé.

Par la conservation, là où la nature les a placées, et la mise systématique en oblique de toutes les branches vigoureuses, qui se prolongent sans bifurcation, grâce au dégagement de leur œil terminal, non seulement la mise à fruits est assurée, mais on favorise en même temps l'extension, en surface et en volume, d'une charpente très aérée, sans aucun fouillis, très souple à la fois et très robuste, capable, sans armature coûteuse, de supporter sans broncher[2] des charges considérables de fruits, directement accrochés sur le canal de la sève.

Tel un artiste au clavier de son instrument, l'arboriculteur peut jouer de la mobilité des obliques, selon le résultat qu'il recherche : veut-il le départ vigoureux et privilégié de l'œil terminal, pour obtenir une branche longue qu'il pourra plus tard croiser avec d'autres pour former et consolider la charpente ? il maintiendra la position verticale ; veut-il au contraire freiner son allongement au profit du gourmand qu'il recherche à la base ? il l'abaissera jusqu'à 30 degrés ; eut-il une circulation de sève plus régulière et mieux équilibrée ? il la laissera à mi-chemin ; l'horizontale même n'est pas exclue (cf. ici), qui peut à l'occasion boucher un vide, tout en donnant du fruit[3] : et, résultat remarquable, quelle que soit sa position, la fructification s'y établira d'elle-même, sans nous. C'est là un art que la pratique de son sol, du climat et de ses variétés lui enseignera vite parfaitement.

Mais il est novice ! ce n'est qu'un débutant[4] , plein de bonne volonté plus que de savoir ! Qu'importe ! S'aperçoit-il que la réaction de la végétation ne répond pas entièrement à son attente, un repentir lui est permis, puisqu'il n'a rien retranché : il desserre le lien, rectifie l'inclinaison, et voilà réparée son erreur première d'appréciation. Il lui est impossible de commettre là de bien grosses fautes (fig. 13), et le seraient-elles qu'il les peut toujours corriger sans grand effort la perte de temps et de sève : peut-on imaginer méthode plus complaisante ?

Deuxième principe

À cette méthode, si simple, si souple, si cohérente, a-t-on, depuis bientôt huit ans qu'on en discute, sans toujours en bien saisir l'économie, adressé quelque critique valable? Nous entendons parler ici de critiques sérieuses et désintéressées, scientifiques si l'on veut, et non de celles qui se situeraient sur le terrain commercial des intérêts, lésés par une méthode trop simple, qui fait de l'arboriculture le bien de tous : nous n'en avons rencontré aucune à laquelle nous n'ayons, croyons-nous, apporté déjà la réplique pertinente. Et puis, les faits sont là, et les résultats ; devant eux, les objections s'effondrent d'elles-mêmes.

Il est d'ailleurs remarquable qu'elles soient toujours venues (et cela était excusable, puisque ce livre constitue le premier exposé d'ensemble et vraiment complet que nous ayons fait de notre Méthode) d'une connaissance fragmentaire, incomplète ou inexacte de points que nous estimons essentiels, et qu'elles tombaient sans difficulté après explication loyale.

Il est également significatif que des autorités telles que L. Chasset et A. Louis aient cru devoir nous donner leur accord et se rallier à nos vues[5] . Nous nous sommes engagé, seul, et malgré bien des oppositions, en terrain neuf; nous revendiquons seulement l'honneur d'avoir été l'apôtre convaincu de la méthode de l'avenir.

Enfin, si l'on compare la Méthode bouché-thomas aux formes aplaties qui ont eu quelque vogue depuis une vingtaine d'années et, à fortiori, à la taille classique[6] qu'elles ont elles-mêmes en partie supplantée, la supériorité de la première est éclatante; elle pourrait se schématiser ainsi :

Installation Méthode bouché-thomas Autres systèmes
(classiques et néo-classiques)
Nombre de scions à l'hectare plein625 à 3.333 selon essences et variétés. 4.000 à 6.000 et plus (usure rapide du terrain).
PoteauxLégers, en bout de rangs seulement, et quelques échalas provisoires aux points faibles. Robustes, tous les 5 mètres au moins sur le rang (au minimum 880 à l'hectare) avec arc-boutant aux extrémités de chaque rang.
Fil de fer de palissageNéant. Parfois un rang pour variétés à bois retombant. 12.000 à 16.000 mètres à l'hectare
CharpenteCharpenteExtensible à volonté. Limitée.
FormationRapide : la vigueur de l'affranchissement n'est contrarié par aucune taille. Très lente : il faut d'abord assurer, par une taille de formation, la solidité des étages inférieurs.
ÉquilibreNaturel, aucune symétrie n'étant imposée. À maintenir par des retranchements annuels importants.
RajeunissementFacile et très rapide. Très lent et onéreux : en raison de l'inéquilibre naturel et total de la forme.
LongévitéAssurée, par l'affranchissement et le rajeunissement. Réduite, conséquence d'un système radiculaire faible.
FructificationFructificationPrécoce et naturelle par l'œil terminal, marchant de pair avec l'établissement de la charpente. Obtenue par des tailles et pincements d'été, et par suite très lente à s'établir.
Plein rendementCommence à 6 ou 7 ans. Commence vers 12 ou 15 ans.
Production moyenne40 tonnes.15 à 20 tonnes[7].
Mode de fructificationBoutons floraux naturellement et directement accrochés sur le canal de la sève.Coursonnes soumises à des tailles répétées évoluant vers la tête de saule.
QualitéSupérieure et homogène.Inégale.
ConservationLongue.Difficile.
TravauxHiver« Inclinaison » au fil souple, des branches devant former la charpente. Palissages et tailles sévères de renforcement, d'équilibre de charpente et de coursonnage.
PrintempsÉbourgeonnement rapide des yeux latéraux d'extrémité. Pincements et tailles en vert, minutieux et répétés en été (Taille Lorette).
ÉpoqueQuand on en a le temps : les opérations peuvent être ajournées sans inconvénients majeurs. Précise, ou tout l'édifice s'écroule.
Résultats1° Pas de perte de sève.
2° Ne se dégarnit pas à la base.
Sève abondamment gâchée. Surface foliaire réduite : déséquilibre physiologique. Lutte incessante pour s'opposer au dégarnissement de la base.
Entretien du solMulching. Façons multiples imposées par un système radiculaire superficiel.
Fumure de restitutionEn fonction des seules récoltes. En fonction des récoltes et des nombreux bois de taille.
PulvérisationRéduites : grâce à la vigueur des arbres : auto-défense contre maladies et insectes (pucerons divers). Nombreuses et ruineuses, en raison d'un état de santé déficient de l'arbre; d'où non-résistance aux maladies et aux insectes, et sans résultat assuré.
Main-d'œuvreRéduite, et quand elle est disponible. Nombreuse et qualifiée.

LES AMIS DE LA MÉTHODE bouché-thomas

Telle est donc, dans sa structure originale, l'authentique bouché-thomas. C'est bien parce que cette Méthode s'est avérée conforme aux lois de la Nature et au simple bon sens, cohérente et simple, qu'elle suscita, dès les premières conférences de son promoteur en 1945[8] , chez les professionnels de tous pays aussi bien que chez les amateurs, un puissant intérêt.

C'est aussi ce qui explique que nous ayons vu, depuis son rapport au LXXIXe Congrès Pomologique de France (Angers, 1948), se multiplier les « Haies-Fruitières », copiant ou démarquant, dans son vocabulaire sinon dans sa technique (« Haie-Fruitière équilibrée de production durable », « Haie-Fruitière normalisée avec plantation inclinée », etc.), celle à laquelle, depuis 1943, est attaché son nom, et dont la mise au point lui a demandé près de trente ans d'observations, d'essais et d'études. Qui donc, avant bouché-thomas, avait songé à coiffer une méthode de ce nom familier et champêtre : « haie-fruitière »?

Pour couper court à toutes ces équivoques, soigneusement entretenues par certains, nous leur abandonnons cette étiquette dont notre Méthode avait fait la fortune : il n'y a plus désormais de « haie-fruitière bouché-thomas » dite « de l'Inclinaison », mais simplement une Méthode qui a nom :

Le bouché-thomas

« Seigneur, délivrez-moi de mes amis ; quant à mes ennemis, je m'en charge! » Cette prière, un peu hautaine sous sa forme humoristique, le bouché-thomas aurait pu la faire sienne, car si l'évidente vérité de ses principes et la logique de ses déductions lui ont permis de triompher aisément de ses détracteurs, il lui était en revanche plus difficile de se défendre de ses amis, nombreux, bien intentionnés certes et pleins d'enthousiasme, mais dont, chez certains, la bonne volonté pouvait n'aller pas, en quelques occasions, sans risque de déviations, tant reste tenace la tentation du compromis avec les anciennes aberrations classiques.

Il fallait donc maintenir fermement les principes, grouper ces forces neuves, mettre en valeur ce patrimoine dont nous avons voulu faire le bien de tous.

L'ASSOCIATION DES AMIS DU bouché-thomas[9] a été créée pour cela en 1949.

On sait comment a évolué, ces dernières décades, l'organisation du travail scientifique : à l'isolement du savant d'autrefois a succédé la recherche en équipe, sous l'égide d'un patron qui coordonne les efforts de chacun, pour les faire converger vers les questions à approfondir : les investigations sont désormais trop complexes et trop étendues pour demeurer le lot d'un seul homme ; ici comme ailleurs joue le principe de la division du travail.

Notre Méthode n'échappait pas à cette commune nécessité : car, si ses principes sont sûrs, si les expériences faites les ont confirmés, il est tout aussi certain qu'elle ouvre des horizons nouveaux, des champs d'exploration tout neufs, qu'elle est par suite perfectible, ainsi que toute œuvre humaine.

Le Congrès annuel de l'Association (des Amis du bouché-thomas), et la revue[10] publiée sous son patronage, serviront de traits d'union entre techniciens et praticiens, soucieux de bien appliquer la Méthode ou de scruter les nombreux problèmes scientifiques ou d'application qu'elle met à l'ordre du jour : ils y relateront leurs expériences, leurs succès, leurs difficultés aussi et les solutions qui leur ont permis de les vaincre. C'est ainsi que progressera l'arboriculture, par la confiante mise en commun des expériences individuelles.

L'Association veillera en même temps sur « l'orthodoxie » de ses membres ; car, si n'en font partie que ceux qui acceptent librement d'appliquer correctement les principes du Système bouché-thomas, elle récuse en revanche les francs-tireurs, dont les échecs ne sauraient lui être imputés à charge. Car innover ne va pas sans risques; la discipline et la prudence exigent que la Méthode ne soit pas modifiée à l'insu de celui qui a, pour la mettre au point, fait bien des expériences qu'il est superflu, souvent onéreux, de renouveler. L'Association épaulera enfin ses membres de toutes façons, par l'entraide sur le terrain technique et d'information. Le travail ne lui manquera certainement pas.

C'est pour nous, Amis de la Méthode bouché-thomas, un sujet de grande fierté et d'intime satisfaction de penser qu'une fois de plus un Français a pu, par un travail opiniâtre, apporter au monde la matière d'un progrès décisif, en un domaine pourtant déjà si fouillé. Nous espérons que la France n'attendra pas, pour profiter de cette richesse, qu'elle lui revienne d'Amérique[11] : c'est un petit voyage qui pourrait lui coûter cher.

AUCUNE MÉTHODE N'EST, ASSURÉMENT, EXEMPTE DE DÉFAUTS LES PLUS AVISÉS CHOISIRONT CELLE QUI EN A LE MOINS.

LE FRANÇAIS, NÉ MALIN, NE FERA PAS MENTIR SA RÉPUTATION

UN DERNIER CONSEIL

La conduite des arbres à noyau : cerisiers, pruniers, abricotiers, possédant en commun plusieurs particularités dans l'application des principes de la Méthode, un souci de clarté nous a poussé à en grouper l'exposé dans un second volume que nous préparerons maintenant. Le pêcher, ayant ses particularités propres, y sera aussi l'objet d'un exposé détaillé.

L'élongation des branches étant plus rapide, et leur bois plus cassant, la surveillance devra donc être soutenue et, les premières années surtout, les interventions promptes, ramassées sur une période de végétation plus brève ; les distances enfin seront augmentées.

C'est la culture des régions à sol maigre, perméable, au climat chaud et lumineux ; la rentabilité est plus rapide, en contrepartie d'une vie plus brève. En remontant vers le nord, l'exploitation commerciale devenant plus aléatoire, elle se pratiquera à petite échelle, et finira familiale.

Mais les grands principes du bouché-thomas demeurent, expression véridique des lois de la Nature.

Pour les questions plus générales (physiologie végétale, améliorations physiques et fumure du sol, lutte contre les maladies et les parasites, etc.), nous ne saurions conseiller à nos lecteurs de meilleur guide que la cinquième édition de l'ouvrage, déjà bien connu et unanimement apprécié, de M. Louis, Ingénieur agronome : « nouveau traité d'arboriculture fruitière »[12]. L'auteur, qui n'est pas conformiste, expose en toute indépendance d'esprit les principes généraux et spéciaux d'arboriculture et d'hygiène végétale vus selon un ordre original et logique, dans le cadre des facteurs normaux de la production agricole. Il s'y affirme plus que jamais partisan des formes libres et des équilibres biologiques, et son raisonnement comme ses observations l'ont conduit notamment au bouché-thomas dont il est un ami convaincu. Son ouvrage, rédigé en liaison amicale et dans le même esprit, est en réalité le complément du nôtre, comme le nôtre en est le complément nécessaire.


[1] M. Chasset, au Congrès Pomologique d'Angers, 1948. Compte-rendu, p. 174. Pomologie Française, avril 1950.

[2] Dans les fourches parfois trop peu ouvertes des arbres en formes libres, de l'écorce névrosée se trouve souvent incluse à la naissance des branches, ce qui en diminue considérablement la résistance mécanique et en prépare l'éclatement ; les bifurcations espacées et largement ouvertes à 120 degrés du bouché-thomas elles, ne craignent rien.

[3] En revanche, nous avons, après plusieurs années d'essais, renoncé à « l'arcure des rameaux secondaires et relemplaçables », qui s'opposait à la parfaite aération de l'arbre en créant le fouillis.

[4] Et tant mieux ! il nous est plus facile de former un débutant que de réformer un praticien chevronné dont les réflexes meurtriers ne se plieront pas en un jour au respect de l'arbre que lui enseigne le bouché-thomas.
« La Méthode bouché-thomas est totalement différente de la « classique », elle ne peut souffrir aucun compromis avec elle. Il faut donc commencer par se débarrasser de toute réminiscence de taille trigemme; et ceci n'est pas aussi facile qu'on pourrait le croire. » A. Louis : Nouveau Traité d'Arboriculture Fruitière, page 468.

[5] L. Chasset : « Je suis d'accord avec M. Bouche-Thomas sur les principes qu'il utilise... Sans vouloir généraliser le système, il peut fournir des éléments intéressants pour la conduite des vergers futurs et rapidement productifs. » Compte-rendu : 79e Congrès Pomologique de France — Angers 1948 — page 174.
A. Louis : « La méthode bouché-thomas est conforme à la physiologie et au simple bon sens (page 152) ... : elle est, à notre avis, une des formes plates les plus rationnelles et la plus avantageuse de toutes celles qui ont pu être proposées jusqu'à ce jour aux arboriculteurs; elle nous paraît, pour ces raisons, être une méthode d'avenir (page 158). — La « Haie-Fruitière Bouche-Thomas » est admirablement adaptée à la culture intensive du pommier comme à celle du poirier, et nous n'hésitons pas à la recommander ... (page 468).

[6] « ... qui apparaît comme une inutile complication de choses simples. » A. Louis : page 448.

[7] Cuny, dans « Jardins de France », novembre 1948, p. 228, donne, après enquête dans la région parisienne, comme tonnage moyen de récolte des poiriers : 7 à 8 tonnes pour les palmettes, 10 à 12 tonnes pour les toupies.

[8] Arboriculture fruitière des temps présents ». Opuscule de 30 pages; 225 frs franco. Chez l'auteur : 14, rue La Fontaine, Angers (M.-et-L.). C.C.P., Nantes 151.39.

[9] Angers, 71 rue de Brissac. C.C.P., Nantes 61052.

[10] Le « Bouché-Thomas , » revue internationale d'arboriculture consacrée à l'étude des bases scientifiques de la Méthode et de son application pratique. Direction et administration : 71, rue de Brissac, Angers (M.-et-L.); CCP. 61052 Nantes; abonnement : France 1.400 fr. Étranger 6 dollars.

[11] Car, si les Français éprouvent, depuis quelques années, un vif engouement pour les méthodes culturales américaines, les Américains, toujours réalistes, s'intéressent, eux, aux techniques françaises : « M. Frank Jamison, professeur a l'Université agricole de Yarnesville (Floride), vient de nous être envoyé en mission d'études... Il a porté un gros intérêt aux plantations du verger du Centre post-scolaire de Rosendaël... et à l'inclinaison à donner aux branches fructifères. Il a pu constater que la Méthode Bouche-Thomas (inclinaison à 30 degrés) était la meilleure : un arbre d'un an n'était-il pas charge d'une quinzaine de fruits? M. J amison a avoué son étonnement devant les méthodes françaises... dont les résultats semblent confirmer la valeur ». (La Gazette Agricole, 4 octobre 1952, p. 4.)

[12] Cinquième édition, entièrement revue sur un plan nouveau. Chez l'auteur, 228, rue Naujac, Bordeaux (Gironde).