L'INCLINAISON

Les branches d'un arbre fruitier qui s'est développé librement prennent différentes positions, de la verticale à l'oblique, de l'oblique à la franche retombée vers le sol.

L'observation des mouvements ascendants et descendants de la sève, brute et élaborée, dans ces différentes positions, aurait pu suggérer à nos arboriculteurs comment obtenir sans échecs et aux moindres frais, en même temps qu'une rapide mise a fruits l'établissement, sans elles d'une charpente correcte et aérée. Ils ont malheureusement préféré, nous l'avons vu appliquer d'abord à l'élégance de la forme : d'où l'incohérence de leurs techniques qui s'efforce de concilier des contraires. . .

À cette complication s'oppose la simplicité du bouché-thomas : l'application très souple de son principe : l'inclinaison, fait naître naturellement, sans sécateur, à la base et au long des branches à côté des productions fruitières qui les garnissent, des rameaux, utilisables pour la charpente, dont le nombre et la position varieront selon qu'elle sera plus ou moins accentuée.

On trouve, sur les arbres en liberté, des branches en position verticale (les plus vigoureuses) des obliques plus ou moins prononcées, des branches horizontales, d'autres enfin qui pendent en arcure au-dessous de l'horizontale (fig. 27) : à mesure quelles s'approchent de cette dernière position, leur déséquilibre croît, elles s'affaiblissent et meurent, bientôt étouffées par la concurrence.

Dans ces différentes positions, la marche des deux sèves, ascendante ou brute, descendante ou élaborée, n'a pas la même activité, la même intensité, et n'aboutit pas aux mêmes résultats. Le contrôle des variations de ce double mouvement du fluide nourricier, d'une importance capitale, est l'une des bases de notre Méthode.

En position verticale, les yeux du sommet du rameau : terminal et latéraux voisins, se développent avec rapidité sous la pression de la sève ascendante. De même, la sève descendante, qui n'est pas contrariée dans sa circulation, active l'allongement inverse, celui des racines.

La verticale est donc la position de la vigueur, autrement dit la position à bois : les yeux du sommet, s'y allongeant vigoureusement, accaparent la majeure partie de la sève ; les yeux situés vers la base, sous-alimentés, ont tendance à ne pas évoluer, à rester dormants.

Pour les faire se développer et éviter ainsi un dénudement de la base, désastreux pour des formes à charpente limitée, nos « classiques » retranchaient au sécateur la partie supérieure rameau. Résultat : les yeux conservés, suralimentés, partaient a bois; ils camouflaient alors cet échec en l'érigeant en principe de coursonnage, le fruit devant être, d'après eux, recherché sur des branches fruitières artificiellement obtenues et entretenues : la fructification en était retardée, mais pas assurée pour autant, loin de là ! Une telle suppression brutale d'organes aériens n'est pas, en effet, cela se conçoit, sans causer un profond déséquilibre dans le métabolisme de l'arbre, puisque le système radiculaire qui les a nourris jusque-là ne subit, lui, aucun retranchement. La « bonne Nature », lésée, s'efforcera, il est vrai, de réparer la maladroite intervention de l'homme; mais ce sera, et c'est là que gît le mal, aux dépens de la fructification.

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Figure 27 : Les trois ages de la branche.

À quoi bon, je vous le demande, alimenter un arbre, lui faire émettre de beaux rameaux, protéger ceux-ci contre insectes et maladies, pour les décapiter ensuite et en faire des fagots ? Soyons avares de la sève : ne nous a-t-elle pas coûté assez de soins ?

Si, au lieu de couper, l'homme, intelligemment, incline, ce changement de position, de la verticale vers l'oblique, aura pour effet de freiner l'ascension de la sève vers les extrémités, au profit des yeux de la base ; il n'y aura donc ni déséquilibre, ni dénudement, ni perte de sève, mais bien son égale répartition : pas une once n'en sera perdue. Ne vaut-il pas mieux la réserver pour l'extension de la charpente et les fruits qui bientôt y naîtront ? (fig. 28 et 29.)

C'est pourquoi, dans notre Méthode, au lieu de le couper, on incline le rameau par étapes, (voir ici), jusqu'à ce qu'il forme, s'il est vigoureux, une oblique voisine de 30 degrés sur l'horizontale (fig. 30).

Dans cette position, le courant du fluide nourricier monte et descend lentement. Sur ce parcours, il abandonnera à chacun des yeux échelonnés sur la branche la quantité de sève voulue, ni trop ni trop peu, juste ce qui est nécessaire pour les transformer en boutons (fig. 31) ; et d'autant mieux qu'à ce rameau, on aura conservé le régulateur suprême, qui préside à leur évolution : l'œil terminal. Celui-ci sert en quelque sorte d'échanson préposé à l'exacte répartition de la sève, particulièrement attentif à ce que les yeux situés à la naissance de la branche aient au festin une part qui leur permette d'évoluer tous suffisamment : admirable dosage naturel qui, la longue vie de l'arbre durant, y maintiendra, sur des coursonnes solides, qui se conserveront d'elles-mêmes très courtes, une fructification constante. Ceci vaut quelle que soit l'espèce fruitière ; en douter serait montrer qu'on n'a pas expérimenté encore la souplesse d'une conduite basée sur la mobilité des obliques. (voir ici).

Pourquoi Sylas Faugier, l'éminent praticien de la vallée ardéchoise de l'Eyrieux, a-t-il choisi lui aussi, après cinquante années de tâtonnements et de recherches, la position oblique de 30 degrés pour la facile et rapide mise à fruits de ses pêchers ? Se serait-il trompé ? Nous voilà donc en bonne compagnie[1] !

On peut dire des branches inclinées qu'elles se trouvent en position de fructification, fructification à laquelle les prédisposera d'ailleurs leur aoûtement plus rapide.

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Figure 28 : Le geste qui ne paye pas : la taille. La sève est gaspillée et les fruits sont perdus.
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Figure 29 : Le geste qui paye : l'inclinaison. La sève est utilisée et les fruits sont assurés.
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Figure 30 : Inclinaison correcte des branches et du scion à 30 degrés.
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Figure 31 : Poirier : Comtesse de Paris - 3e année. Plantation primitivement destinée à l'arcure, puis corrigée en « Bouche-Thomas ».

Cette mise à fruits naturelle et totale des branches inclinées s'expliquerait par le fait que, dans cette position, leur croissance cessant plus vite, elles commencent tôt à stocker l'amidon, mise en réserve qui favoriserait la fructification future ; cette théorie rejoint celle qui veut que les « branches en voie d'élongation (lisez « verticales ») dépensent plus d'amidon qu'elles n'en fabriquent » : c'est la condamnation des pincements d'été, qui provoquent la sortie de jeunes pousses, grosses consommatrices d'amidon.

Certaines recherches récentes porteraient aussi à croire que les branches verticales élaborent des hormones de croissance, tandis que celles qui se rapprochent de l'horizontale secrètent des hormones de fructification : jusqu'à plus ample informé, nous n'y contredirons pas.

Cette oblique, voisine de 30 degrés au-dessus de l'horizontale, où elles sont amenées par étapes, n'est pas seulement pour les branches la position idéale pour une mise à fruits qui s'échelonne depuis leur base (fig. 32 et 33), elle est aussi le moyen simple et expéditif d'y faire naître naturellement, sans autre intervention, de vigoureux gourmands verticaux qui, inclinés à leur tour, édifieront la charpente (voir ce chapitre).

Verticale, oblique : telles sont donc les deux positions fondamentales qu'utilisera tour à tour le bouché-thomas pour charpenter, puis mettre à fruits, ses arbres, sans s'interdire à l'occasion, comme positions d'appoint, celles dont la végétation naturelle lui fournit encore l'exemple.

Mais retenons bien, pour l'instant, qu'il y a, pour une sève jeune et généreuse, une position privilégiée où elle s'étale en parfait équilibre[2] tout au long des branches : l'oblique voisine de 30 degrés ; toutes les autres positions étant, à cet égard, plus ou moins désavantagées. Dans la verticale, la sève se porte à flots vers les parties hautes et délaisse les basses ; c'est l'inverse pour l'horizontale : la base des branches retient la majeure partie de la sève, et leur pointe est peu alimentée. Dans l'arcure (car c'est aussi une position de branches qui a eu sa vogue, éphémère comme il fallait s'y attendre[3]) le défaut de l'horizontale est aggravé, le déséquilibre est au maximum ; dans cette position, (défectueuse lorsqu'elle est érigée en système de formation de charpente, acceptable tout au plus en pépinière pour tirer intelligemment parti de scions invendus, avant de les jeter au rebut) il faudra, bon gré mal gré, rétablir l'équilibre : ce ne se pourra qu'avec le sécateur manié d'une main experte, mais ce n'est pas ainsi que paie un verger ! (fig. 34.)

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Figure 32 : Grace à l'inclinaison la fructification s'établie jusqu'à la base de nos arbres.
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Figure 33 : Grace à l'inclinaison la fructification s'établit jusqu'à la base de nos arbres.
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Figure 34 : Répartition schématique de la sève.
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Figure 35 : Ontario - 3e année.
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Figure 36 : Reine des reinettes - 3e année.
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Figure 37 : Calville blanc - 3e année.
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Figure 38 : Calville blanc - 4e année.
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Figure 39 : Reinette du Canada blanc - 4e année.
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Figure 40 : Reinette clochard - 4e année.
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Figure 41 : Reinette du Canada blanc - 5e année.
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Figure 42 : Reinette clochard - 7e année.
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Figure 43 : Reinette du Canada blanc - 7e année.
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Figure 44 : Reinette du Canada blanc - 7e année. Bout de rang.
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Figure 45 : Une ligne de Reinette du Canada blanc en fleurs - 7e année. Bout de rang.
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Figure 46 : Double Haie de Reinette du Canada blanc en fleurs - 7e année. Bout de rang.

FLORAISON D'UN POMMIER EN «BOUCHÉ-THOMAS»

ACCROCHAGE DES BOUTONS À FRUITS DIRECTEMENT SUR LE CANAL DE LA SÈVE.

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Figure 47 : Reinette clochard - 6e année.
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Figure 48 : Reinette clochard - 6e année.
Détail : L'œil terminal, au départ de la végétation, se trouvait au niveau de la flèche de droite. La vigueur de la végétation, favorisée par l'emplacement de ce rameau court et trapu, n'a pas empêché l'œil à bois situé à sa base de se transformer en bouton à fruits (flèche de gauche).
Remarque : Les coupes, apparentes sur notre cliché, ont été faites seulement pour Permettre une plus grande lisibilité de photographie.
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Figure 49 : Reinette du Mans - 7e année.
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Figure 50 : Poiriers - 5e année. Doyenné du Comice (au fond à gauche), William's (au milieu) jeune plantation et William's rajeunie à droite.
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Figure 51 : Doyenné du Comice - 4e année.
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Figure 52 : 4e année. Aux premiers rangs : Doyenné du Comice ; arrière-plan : William'.
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Figure 53 : Duc de Bordeaux et Doyenné du Comice - 5e année.
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Figure 54 : Beurré Hardy en fleurs - 6e année.
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Figure 55 : Duc de Bordeaux et Doyenné du Comice - 8e année.
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Figure 56 : Doyenné du Comice - 8e année.

[1] Agriculture n°87, janvier 1948, pp 13-25.

[2] M. Vercier consacre tout un chapitre de son « Manuel d'Arboriculture fruitière » à la détermination de la variété des fruits au moyen du pendule.
Un de nos amis, M. l'abbé Paulet, radiesthésiste éminent, a, de son côté, étudié notre Méthode sous cet aspect spécial, et conclut ainsi : « Les courants électriques, les ondes magnétiques qui parcourent notre planète exercent une influence sur les vivants qui la peuplent. Il y aura donc, tout comme pour les animaux et les humains, des positions privilégiées pour les végétaux, et c'est chose facile à mettre en évidence : imprimons au pendule que nous tenons de la main droite des battements réguliers, puis, de la gauche, saisissons vers son premier tiers une branche verticale que nous inclinerons progressivement : nous constatons (surprise pour le profane) qu'à mesure qu'on l'abaisse, les battements du pendule s'atténuent, pour cesser tout à fait lorsque la branche arrive aux environs de 30° au-dessus de l'horizontale. Quelle explication en donner, sinon que la branche a trouvé là son équilibre dans l'espace, sa position idéale ? »

[3] B.E.S.T., septembre 1952, p. 34 : Voyage d'études dans le Centre-Ouest : « ... dans l'ensemble, nous avons noté une désaffection nette à l'encontre de l'arcure qui exige des soins trop minutieux. »